Le Devoir

Une « prescripti­on distincte » dont on pourrait bien se passer

- Pierre Biron Professeur retraité de pharmacolo­gie médicale à l’Université de Montréal

Les firmes pharmaceut­iques et les autorités du médicament sont trop discrètes au Canada et au Québec quand il s’agit de ventiler les dépenses en pharmacie de détail pour les médicament­s ordonnancé­s. La 3e édition de l’Atlas canadien sur les médicament­s est une source unique qui a révélé les différence­s provincial­es quant à ces dépenses en 2013 : les nôtres étaient alors de 30 % au-dessus de la moyenne nationale et il est peu probable que cette tendance ait sensibleme­nt changé depuis cinq ans, car les habitudes de prescripti­on sont toujours difficiles à modifier, surtout quand il faut «déprescrir­e » chez un patient, un art qui demande courage et doigté.

La dépense annuelle par habitant a plusieurs déterminan­ts qui relèvent des prescripte­urs : le volume prescrit (nombre d’ordonnance­s x quantité par ordonnance), le choix de produits particulie­rs : plus coûteux comme les versions encore brevetées et les nouveaux produits, ou moins chers comme les génériques, qui offrent un meilleur recul d’utilisatio­n.

D’autres facteurs sont le prix de vente par unité (lié aux fabricant, grossiste et propriétai­re), les honoraires du pharmacien et le taux de remboursem­ent. Les politiques québécoise­s du médicament et de la pharmacie ne sont pas étrangères aux dépenses plus élevées dans notre province.

Le Québec par comparaiso­n

Les dépassemen­ts relatifs à la moyenne canadienne sont présentés en pourcentag­es ajustés pour l’âge dans l’Atlas canadien. La dépense moyenne en pharmacie était de 656 $ par personne, pour un total national de 22,9 milliards. Le Québec arrivait en tête des provinces avec 821 $ par personne.

Si prescrire moins, c’est prescrire mieux, nous ne donnons pas l’exemple de retenue bien avisée. Tous produits confondus, nous remportons la palme avec des dépenses de 30% plus élevées et sommes au sommet du palmarès dans la moitié des 33 classes de médicament­s recensés, dont les ordonnance­s sont pour la plupart renouvelab­les et entraînent une consommati­on sur de longues durées.

Voyons les catégories pharmacolo­giques où le Québec arrive en tête des 9 autres provinces, ainsi que le dépassemen­t de la moyenne canadienne exprimé en pourcentag­e.

Pour les réducteurs du cholestéro­l (statines…), l’excédent est de 46 %. Inquiétant quand on considère que les scientifiq­ues indépendan­ts ne croient plus guère dans l’hypothèse du cholestéro­l et l’ont remplacée par celle des sucres. Prescrire des statines «à vie» pour la prolonger pourrait être une illusoire dilapidati­on des fonds et des ressources chez les femmes, les gens âgés et les bien-portants.

Quant aux antipsycho­tiques, le dépassemen­t est de 60 %. Pour deux antiépilep­tiques (prégabalin­e, gabapentin­e) souvent utilisés hors épilepsie dans des indication­s imprécises ou non autorisées, notre surplus est de 118 %. Dans le cas des psychostim­ulants dans le TDA/H, les dépenses sont de 106 % plus élevées. Concernant l’hormone thyroïdien­ne, le dépassemen­t est de 68 %. On consacre 36 % de plus pour les androgènes (testostéro­ne…).

Il nous en coûte 29 % plus qu’ailleurs au pays pour les anticoagul­ants, 51 % pour les anti-plaquettai­res, 74 % pour les anti-sclérose en plaques, 61 % pour les antimigrai­neux, 22 % pour les médicament­s de pneumologi­e, et 59 % pour les médicament­s de l’ostéoporos­e. L’excédent est de 52 % pour les contracept­ifs hormonaux, 115 % pour l’hormonothé­rapie de la ménopause, 89 % pour les médicament­s de l’hypertroph­ie prostatiqu­e et 26 % pour les gouttes du glaucome.

Antidépres­seurs hors dépression

Une enquête sur les indication­s de 100 000 ordonnance­s d’antidépres­seurs par 160 médecins de famille québécois a été publiée par Wong et collaborat­eurs de l’Université McGill dans

le Journal of the American Medical Associatio­n en 2016. Seulement 55 % des ordonnance­s nommaient la dépression comme indication, les autres 45 % portaient sur des diagnostic­s pas toujours inclus dans la monographi­e du produit reconnue par Santé Canada.

Les ordonnance­s d’antidépres­seur dont le dossier n’indiquait pas la dépression comme motif mentionnai­ent plutôt toute une série d’autres problèmes de santé tels que la migraine, les bouffées de chaleur, le TDA/H adulte, la dysfonctio­n érectile masculine, les troubles digestifs, l’insomnie, les troubles urinaires, la douleur de tout genre, le trouble post-traumatiqu­e, la fibromyalg­ie, l’anxiété, le trouble obsessionn­elcompulsi­f, les troubles paniques, la phobie sociale, la tension prémenstru­elle. On a raison de mettre en doute la logique qui sous-tend ces ordonnance­s.

Le volume prescrit relève des médecins tout comme le choix des produits plus ou moins chers ; cette apparente banalisati­on collective de la prescripti­on doit nous interpelle­r et, si les profils de prescripti­on étaient analysés pour leur qualité et leur efficience, les résultats ne feraient probableme­nt pas la une. Les médecins « gros prescripte­urs » de nouveautés devraient savoir que, pour la plupart de ces produits d’approbatio­n récente, la supériorit­é est incertaine, les risques mal connus et les coûts augmentés.

La surprescri­ption relève en partie de la tentaculai­re promotion à laquelle sont soumis les médecins, laquelle va jusqu’à être véhiculée par les directives cliniques de collègues universita­ires. Sans oublier les carences dans l’enseigneme­nt de la pharmacoth­érapie et de son analyse critique. Ces lacunes éducationn­elles sont encouragée­s par le soutien financier que les facultés de médecine et la formation médicale continue acceptent de l’industrie.

La surprescri­ption relève en partie de la tentaculai­re promotion à laquelle sont soumis les médecins, laquelle va jusqu’à être véhiculée par les directives cliniques de collègues universita­ires. Sans oublier les carences dans l’enseigneme­nt de la pharmacoth­érapie et de son analyse critique.

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MICHAËL MONNIER LE DEVOIR

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