Le vétéran de la radio Guy Brouillard tire sa révérence
Le directeur musical quitte CKOI-FM après 42 ans de service
Lorsque les propriétaires de CKVLFM ont voulu en faire une radio musicale, ils ont d’abord embauché Guy Brouillard : « Tout ce qu’on me demandait de faire, c’est de monter une discothèque, se rappelle-t-il. Je devais amasser les vinyles qu’on allait faire tourner, puis décider quelles chansons allaient être diffusées en ondes — finalement, c’était ça, le travail d’un directeur musical ». Poste qu’on lui a attribué de facto lorsque CKOI-FM a émis ses premières notes, le 6 décembre 1976. Vendredi dernier, Guy Brouillard a pris sa retraite, après 42 ans de service — un véritable exploit dans ces industries, musicale et médiatique, en constante mutation.
Ainsi, CKOI-FM inaugure aujourd’hui un nouveau chapitre de son histoire, sans le vétéran de la radio, remplacé à la direction musicale par Éric Martel, animateur du 6 à 6. Jusqu’alors, « j’étais le seul employé de CKOI encore là depuis le début », échappe le jeune retraité. Au fil des décennies, l’antenne a changé de propriétaires — Jack Tietolman et Corey Thomson ont vendu à Métromédia CMR en 1992, qui a vendu à Corus en 2001 ; CKOI est propriété de Cogeco depuis 2010 —, mais Guy Brouillard est toujours demeuré en poste, accompagnant la station dans ses identités musicales. Prog rock au début, elle a dévié vers le new wave dans les années 1980, puis embrassé le rock et la pop au gré des modes.
« Aujourd’hui, le marché de la radio est segmenté. Chacun veut sa part de marché en rejoignant une clientèle précise. Le rôle d’un bon directeur musical est de se demander quel est le meilleur chemin pour se rendre à cette clientèle, en se demandant ce qu’ils aiment entendre. Moi, j’ai toujours été près du monde, alors ce n’était pas compliqué de remplir la commande » lancée par ses patrons, explique Brouillard, qui se présente comme « un bon ouvrier, un bon assistant de mes directeurs des programmes » ayant fait « son travail avec le plus de bonhomie possible. Je n’ai jamais fait d’ego trip par rapport à ma job » de tout-puissant gardien des portes de la radio, une position qui en a fait un personnage incontournable de l’industrie musicale québécoise.
Le secret du « hit »
« Tu sais, une chanson, c’est une recette », explique Brouillard à propos de l’art de repérer un succès radio, l’essence de son métier. « Un couplet, un refrain accrocheur, certaines chansons sont construits presque intentionnellement pour être un hit. Avec l’expérience, c’est facile de les reconnaître. Or, parfois, il y a des chansons tellement à côté de la track qu’elles ont leur attrait et ne peuvent faire autrement que de susciter la curiosité. On carbure beaucoup à ça. »
Si CKOI-FM a longtemps occupé une position dominante dans la part du marché radiophonique montréalais, la montée de la radio parlée depuis le début de la décennie a relégué la radio musicale au second rang, exception faite de Rythme FM. « Les gens ont toujours l’impression que CKOI est une station pour les 18-25 ans, mais c’est faux : ce groupe est beaucoup moins fidèle à la radio qu’il y a 15 ou 20 ans », évalue Brouillard, qui pointe les services d’écoute en continu comme Spotify et Google Play pour expliquer, en partie, une certaine désaffection des jeunes auditeurs.
Peut-être ne se reconnaissent-ils simplement plus dans la programmation musicale proposée sur les ondes commerciales montréalaises? Les choix musicaux, « je les ai faits le plus honnêtement possible, mais pour le bien de l’antenne. Mon mandat était de rejoin- dre le grand public » en se positionnant comme une radio de découvertes. « C’est facile pour des mélomanes avertis de dire que CKOI, musicalement, n’est pas si précurseur, ajoute-til. Mais on ne s’adresse pas nécessairement aux connaisseurs […]. On ratisse large : notre vocation n’est pas d’éduquer, mais de divertir, tout en faisant découvrir la musique ».
La question des quotas
En 2015, un regroupement de radios privées s’est présenté devant le CRTC pour demander que le quota de 65 % de musique francophone diffusée en ondes soit abaissé à 35 %, ce qui a soulevé l’ire du milieu qui a répondu qu’une telle réduction « serait dévastatrice pour tous les artisans de la chanson d’ici », affirmait l’ADISQ dans un communiqué diffusé l’automne dernier et endossé par la SOCAN, l’Union des artistes, l’Association des professionnels de l’édition musicale et le jeune Regroupement des artisans de la musique, entre autres.
« Je pense que [les quotas] sont une bonne chose, mais à réévaluer, tranche Brouillard. Ils ont été établis en 1973 ; la réalité n’est plus la même. Aujourd’hui, tout le monde a accès à un téléphone cellulaire et aux services d’écoute en continu ; il est facile de délaisser la radio. Et justement, prends Spotify ou Google Play : sont-ils tenus aux quotas de 65 % de musique en français ? Non. Je crois profondément qu’il faut faire rayonner notre culture et notre langue, mais est-ce réaliste d’imposer des quotas à 65%? J’en doute», s’interroge l’ex-directeur musical qui, en se gardant bien de répondre au nom de ses patrons, estime plus raisonnable un quota fixé à 50 %.
« Personnellement, je rêve de 50 %, depuis longtemps, et je l’ai souvent proposé. Maintenant, c’est certain que mon amie Solange Drouin [directrice générale de l’ADISQ] frémit à la simple idée de toucher aux quotas… Ouvrir le débat est délicat — on l’a vu au gala de l’ADISQ [en 2016, puis en 2017] quand les artistes ont pris position pour leur maintien. Or, on ne veut pas se battre contre l’industrie de la musique, on veut travailler avec elle. La question des quotas, ce n’est plus une question de survie [de la langue], mais une question de compétitivité » des radios commerciales face aux plateformes de diffusion en continu.
« La radio va perdurer. C’est le médium qui souffre le moins présentement [du détournement des revenus publicitaires par Google, Facebook et compagnie] parce que c’est le médium de l’immédiat, celui qui s’adresse le plus directement aux gens ».