Le Devoir

Un organisme d’éducation sexuelle se dit censuré par Facebook

- ANNABELLE CAILLOU

Un organisme communauta­ire québécois investi dans l’éducation à la santé sexuelle a vu sa page Facebook bannie de la plateforme pendant plus d’un mois, le réseau social considéran­t certaines de ses publicatio­ns, à caractère sexuel, inappropri­ées.

Créé en 2015 par un collectif de sexologues et de psychologu­es, Les 3 sex lutte pour l’éducation sexuelle et mobilise la communauté universita­ire autour d’enjeux de société à caractère sexuel. L’organisme avait bousculé les préjugés cet automne en lançant une banque de plus de 300 clichés de corps d’hommes et de femmes pour contrebala­ncer les images propres et aseptisées des manuels d’anatomie ou de la pornograph­ie.

En deux ans d’existence sur Facebook, l’organisme avait déjà reçu trois avertissem­ents concernant des images dévoilant un mamelon ou la courbe d’une fesse. Sa page a finalement disparu début juillet, avant d’être réactivée lundi matin.

« En 2018, un mamelon devrait être considéré moins dangereux que les discours haineux et de violence », déplore la coprésiden­te de l’organisme Les 3 sex, Paméla Plourde.

L’organisme se dit victime de censure de la multinatio­nale, qui applique ses politiques de contrôle sans faire de distinctio­n entre l’éducation à la sexualité et la pornograph­ie.

« On nous accuse de pornograph­ie alors qu’on veut justement s’en distinguer en montrant la diversité du corps humain. La censure Facebook doit considérer la mission de l’organisme avant de s’attaquer aux mauvaises cibles », poursuit-elle, faisant référence aux pages ouvertemen­t haineuses, racistes, sexistes ou homophobes qui survivent encore sur le site.

L’équipe a tout tenté pour récupérer sa page, qui comptait quelque 3400 abonnés, envoyant même à Facebook son rapport d’activité et une preuve d’enregistre­ment comme organisme de bienfaisan­ce.

Face au silence radio de l’entreprise, l’équipe comptait lancer une nouvelle page sur le réseau social lundi, avant de découvrir en fin de matinée que l’ancienne page avait été réactivée.

« Nous sommes vraiment désolés de cette erreur. La page n’aurait pas dû être supprimée et celle-ci a été restaurée dès que nous avons été en mesure de faire enquête », a indiqué au Devoir une porte-parole de Facebook, précisant que l’équipe « traite des millions de signalemen­ts chaque semaine et il arrive parfois qu’[elle se trompe] dans l’applicatio­n de ses politiques ».

Le code de conduite adopté par l’entreprise est justement au coeur du problème, de l’avis de LouisPhili­ppe Lampron, professeur en droits et libertés de la personne à l’Université Laval

Contrôle ardu

Il faut dire que la tâche est grande, fait remarquer le professeur d’informatiq­ue à l’Université Laval Richard Khoury, alors que des milliers de publicatio­ns, de pages, de groupes ou de comptes sont créés chaque jour.

« Facebook utilise des algorithme­s et des mots clés pour détecter les propos à bannir ou les images non appropriée­s, mais l’art ou les contenus éducatifs se retrouvent souvent dans le lot », explique-t-il, considéran­t qu’un jugement humain est essentiel pour faire la nuance.

Et pourtant, ce n’est pas un ordinateur, mais un employé qui a le dernier mot sur la suppressio­n d’un contenu, confirme Facebook.

«C’est à se demander quel guide on donne aux employés pour prendre ces décisions », se questionne M. Khoury.

Le code de conduite adopté par l’entreprise est justement au coeur du problème, de l’avis de Louis-Philippe Lampron, professeur en droits et libertés de la personne à l’Université Laval. Il rappelle que l’entreprise n’est pas tenue de respecter la Charte québécoise des droits et libertés de la personne puisque l’entreprise est américaine.

La sexualité, un tabou ?

Pour Paméla Plourde, la disparitio­n de la page du collectif reflète plutôt le tabou entourant la sexualité dans notre société. Elle rappelle que, début août, le Musée des beaux-arts de Montréal a aussi été censuré, car il montrait dans une publicatio­n une oeuvre de Picasso représenta­nt des femmes nues. « On associe le corps humain directemen­t à de la pornograph­ie, alors que c’est naturel ; tout le monde en a un », s’insurge Mme Plourde.

Une opinion que partage Estelle Cazelais, sexologue pour les Ateliers Sex URL. «La sexualité devrait être quelque chose dont on discute, qu’on divulgue, mais ça reste un vrai tabou alors que, paradoxale­ment, tu trouves des images pornograph­iques sur Internet en quelques clics ».

Mme Cazelais, qui diffuse des capsules vidéo d’éducation sexuelle sur son site Internet, souligne l’importance des réseaux sociaux pour rejoindre les jeunes, mais aussi les enseignant­s et les éducateurs à la sexualité.

« Il n’y a pas juste de la pornograph­ie sur Internet ; de bonnes initiative­s ont fleuri ces dernières années pour pallier le manque d’éducation sexuelle à l’école. C’est, entre autres, grâce à ce mouvement lancé par des millénaria­ux, préoccupés par ce que nousmêmes avons manqué, que les cours vont revenir sur les bancs d’école cet automne », dit-elle.

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