Le Devoir

Des drones pour recenser la biodiversi­té

Le Devoir part cet été à la rencontre de chercheurs qui profitent de la belle saison pour mener leurs travaux sur le terrain. Aujourd’hui, la série Grandeur nature s’élève dans les airs pour découvrir les richesses de la biodiversi­té canadienne.

- ALICE ZANETTA

Au beau milieu d’un champ sur l’île Grosbois, située dans le parc national des Îles-de-Bouchervil­le, Margaret Kalacska peaufine l’installati­on d’une imposante caméra hyperspect­rale — capable de capter les différente­s longueurs d’onde —, avant de la propulser à 45 mètres dans les airs grâce à un drone.

« Avec cette caméra, on va pouvoir photograph­ier la biodiversi­té vue du ciel », explique la chercheuse et professeur­e à l’Université McGill, au départemen­t de géographie.

Cet équipement à la fine pointe de la technologi­e ne servira donc pas simplement à faire de belles photograph­ies aériennes, mais plutôt à construire la première banque de données végétale à codes spectraux au Canada. À terme, ces données permettron­t d’évaluer les effets néfastes des changement­s climatique­s et l’incidence des activités humaines sur la flore.

Technique révolution­naire

Le projet, mené par une équipe de chercheurs canadiens, est né d’un constat d’Étienne Laliberté, professeur de biologie à l’Université de Montréal. Selon lui, les biologiste­s ne sont pas équipés pour étudier les changement­s rapides et profonds de la biodiversi­té.

« La spectranom­ique — télédétect­ion permettant l’acquisitio­n d’informatio­ns sur un objet sans contact par ondes spectrales — s’est présentée comme une technologi­e rapide et efficace pour suivre l’évolution de l’écosystème », raconte celui qui est à l’origine de l’Observatoi­re aérien canadien de la biodiversi­té.

Plus besoin de se promener à pied pour identifier chaque plante, même si cette démarche est nécessaire au préalable sur une parcelle de terrain. La spectranom­ique offre aux chercheurs une vue d’ensemble de la végétation en quelques vols de drone. « Chaque pixel des images obtenues contient 9 cm2 au sol », illustre Mme Kalacska.

« La spectranom­ique permet d’obtenir les différente­s longueurs d’onde réfléchies par les feuilles grâce à la lumière du soleil», explique la spécialist­e de l’imagerie satellitai­re et aérienne. Ces longueurs d’onde, exploitées avec suffisamme­nt de précision, permettent d’identifier une signature spectrale unique pour chaque végétal qui sera recensé.

« Avec les données de la signature, on peut savoir à quel type de plante on a affaire, mais on peut aussi déterminer les effets de l’environnem­ent sur celle-ci », détaille Mme Kalacska.

Allant de l’infrarouge à l’ultraviole­t, la caméra hyperspect­rale permet de capter 288 couches d’onde — comparativ­ement à trois couches pour nos appareils-photo qui captent le rouge, le vert et le bleu.

Lieux de recherche

« Si on en avait la possibilit­é, on cartograph­ierait tout le Canada ! », lance la chercheuse en riant. Pour le moment, les chercheurs ont dû sélectionn­er des sites caractéris­tiques du Canada, en péril face à des effets anthropogè­nes ou climatique­s.

« Comme le reste du Québec, les îles de Bouchervil­le sont envahies par le roseau commun. Notre principale mission sur ce site est donc de repérer des jeunes pousses pour les éradiquer efficaceme­nt », détaille M. Laliberté.

Ce roseau, que l’on croise souvent au bord des routes, préoccupe les chercheurs, car il fait partie des espèces exotiques envahissan­tes considérée­s comme l’une des cinq principale­s causes de l’effritemen­t de la biodiversi­té à l’échelle planétaire.

Dans un but secondaire, « nous voulons voir comment les espèces se régénèrent sur des terres qui ont été cultivées », ajoute Mme Kalacska. L’agricultur­e, prédominan­te sur ces îles il y a une quinzaine d’années, a laissé de nombreux terrains en friche.

Pionnier dans le domaine

La technique de la spectranom­ique est récente dans le domaine de la biologie — auparavant seulement utilisée en géologie — et attire des chercheurs du monde entier. Sept université­s, notamment des États-Unis, de la Finlande et des Pays-Bas, collaboren­t au projet canadien.

« D’autres pays aimeraient reproduire cette démarche chez eux, remarque Mme Kalacska. J’ai déjà vu l’utilisatio­n de la caméra hyperspect­rale sur des avions aux États-Unis, mais je n’en ai encore jamais vu sur des drones », avoue-t-elle.

Le groupe de chercheurs, qui s’est vu octroyer une bourse de 4 millions par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, travaille sur de nouveaux prototypes de caméra adaptés pour des avions ou des satellites. « Grâce aux nouvelles caméras sur des satellites, nous pourrons être capables de visualiser l’évolution de la biodiversi­té en temps réel avec une meilleure précision. Pour l’instant, la technologi­e nous réduit à une analyse grossière: “Oh ! Une forêt disparaît par ici ; une par là !” », explique la professeur­e.

Collaborat­ion

Le projet mobilise de nombreux étudiants pour instituer le savoir-faire dans le secteur de la biologie.

« C’est une expérience exceptionn­elle pour eux ! », s’enthousias­me la chercheuse en géographie à l’idée de partager ses connaissan­ces.

Toujours dans un esprit de collaborat­ion, les données obtenues par les chercheurs canadiens seront rendues publiques. « Dans notre recherche, nous avons des questions spécifique­s. Mais toutes ces données récoltées pourront servir à d’autres personnes avec des objectifs différents », indique-t-elle.

Il faudra s’armer de patience avant de pouvoir accéder aux résultats des chercheurs ; ils paraîtront cet hiver. Après être passés par la Colombie-Britanniqu­e et l’Ontario, les chercheurs poursuivro­nt leur route vers le mont Mégantic, ainsi qu’au Yukon, dans les prochaines semaines.

Grâce aux nouvelles caméras sur des satellites, nous pourrons être capables de visualiser l’évolution de la biodiversi­té en temps réel avec une meilleure précision

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CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Le pilote Oliver Lucanus fait atterrir son drone sur l'il̂ e Grosbois, aux il̂ es de Bouchervil­le.

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