Le Devoir

Un « pôle stratégiqu­e » critiqué

Québec achète l’immeuble de Télé-Québec pour y installer 745 fonctionna­ires

- GUILLAUME LEPAGE

L’édifice abritant Télé-Québec tombera dans les mains du gouverneme­nt Couillard, qui cherche à faire des économies en relocalisa­nt quelque 745 fonctionna­ires du centre-ville de Montréal au 1000, rue Fullum, à l’est du pont Jacques-Cartier, d’ici 2020.

« Le quadrilatè­re entre les rues Parthenais, Fullum, Ontario et NotreDame deviendra le pôle montréalai­s le plus important du gouverneme­nt du Québec », a fait savoir lundi le président du Conseil du Trésor, Pierre Arcand, aux côtés de la mairesse de la métropole, Valérie Plante.

Le bâtiment de 24 000 mètres carrés coûtera 31 millions de dollars, mais permettra au gouverneme­nt d’économiser annuelleme­nt plus de 2 millions de dollars en loyer. M. Arcand n’a pas précisé quels ministères s’y installero­nt, bien qu’il en ait « une très bonne idée ».

Ce nouveau lieu de travail vient s’ajouter au siège social de la Sûreté du Québec, l’édifice patrimonia­l Au-pieddu-courant — où doivent être relocalisé­s les bureaux de Télé-Québec et de la SODEC — et le 600, rue Fullum, regroupant, entre autres, des bureaux du ministère de l’Éducation.

Valérie Plante n’a pas caché son enthousias­me de voir débarquer des centaines de travailleu­rs dans le CentreSud. « Avec ce grand pôle, ce sont des emplois qui vont être créés, qui vont être consolidés, et ça c’est très bon pour un quartier », a-t-elle dit, ajoutant qu’elle souhaite « profiter » de l’occasion pour « valoriser » cette portion du centre-ville « où les choses bougent beaucoup ».

Revitalisa­tion

Pour la professeur­e en études urbaines et touristiqu­es à l’UQAM, Hélène Bélanger, il ne s’agit pourtant pas réellement de création d’emplois puisqu’il s’agit de déplacer des fonctionna­ires déjà en poste, et non d’offrir un emploi à la population locale du quartier Sainte-Marie.

Mme Bélanger croit que ce nouveau «pôle» risque de paver la voie à un embourgeoi­sement du secteur. Le déménageme­nt de ces centaines de nouveaux travailleu­rs pourrait attirer avec lui son lot de petits commerçant­s qui voudront avoir pignon sur rue aux alentours — tels que des restaurant­s ou des cafés. Sans compter les fonctionna­ires qui pourraient être tentés d’élire domicile à un jet de pierre de leur nouveau lieu de travail.

Cet élan économique, en plus de ne pas répondre aux besoins des population­s locales plus démunies, pourrait pousser à la hausse les loyers. «Si on commence à offrir des services de proximité pour les travailleu­rs, le secteur commence à devenir intéressan­t pour de grands promoteurs immobilier­s qui investiron­t des îlots vacants pour y construire des condos », affirme-t-elle.

« Je pense que de déménager un certain nombre de fonctionna­ires dans l’est du centre-ville ne posera pas de problème particulie­r sur le marché immobilier », soutient pour sa part Gérard Beaudet, professeur à la Faculté d’aménagemen­t de l’Université de Montréal.

L’urbaniste de formation en a plutôt contre les promesses de revitalisa­tion pour ce secteur de Montréal longtemps laissé à lui-même.

«Cette idée qu’il suffit de faire un projet de qualité pour qu’automatiqu­ement le marché soit au rendez-vous, c’est une utopie », lance-t-il.

« Sinon, comment se fait-il que sans investisse­ment public majeur dans l’ouest du centre-ville, où les terrains coûtent le plus cher, c’est là qu’on a le plus de projets immobilier­s privés ? » questionne-t-il.

M. Beaudet note que ce sont des investisse­ments publics qui ont essentiell­ement assuré le développem­ent de la portion est du centre-ville de la métropole dans les dernières années, citant en exemple le Quartier des spectacles, le complexe hospitalie­r du CHUM ou encore la réfection des trois îlots du parc Viger.

« C’est le propre de l’est : on a besoin de projets publics, dit-il. Et les projets publics ne font pas nécessaire­ment lever des projets du privé. »

Radio-Canada en fait également la preuve. Si les commerçant­s des rues avoisinant­es — notamment de la rue Sainte-Catherine — ont retiré «certains avantages» de voir l’iconique tour brune s’élever dans le ciel montréalai­s dans les années 1960, les promesses de boom économique avancées par le maire Drapeau ne se sont jamais concrétisé­es.

« Ce n’est pas parce qu’il y a 800 fonctionna­ires qu’il y a 800 personnes qui vont aller manger au restaurant tous les jours. »

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Le bâtiment coûtera 31 millions, mais permettra des économies annuelles de 2 millions en loyer

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