Le Devoir

Les questions d’immigratio­n négligées par les politicien­s

Le modèle québécois d’accueil et d’intégratio­n des nouveaux arrivants était, historique­ment, novateur et courageux. Mais le néolibéral­isme et l’intoléranc­e des 15 dernières années menacent les acquis.

- Micheline Labelle Professeur­e émérite de sociologie, UQAM

Les élections d’octobre nous révéleront les positions des partis politiques sur l’immigratio­n et l’intégratio­n. S’il y a un domaine sensible où la question nationale joue un rôle déterminan­t, c’est bien celui-ci. Pour s’en convaincre, rappelons quelques jalons.

Depuis la création du ministère de l’Immigratio­n en 1968, l’État québécois a graduellem­ent maîtrisé le volume et la sélection des immigrants indépendan­ts, mais le fédéral a les pleins pouvoirs en matière d’admission, d’interdicti­on de territoire, de regroupeme­nt familial, de demandes d’asile, d’immigratio­n temporaire et de citoyennet­é, sans parler des frontières.

Avec l’élection du Parti québécois (1976), le projet indépendan­tiste et social-démocrate vise une prise en charge collective et une volonté de s’ouvrir aux minorités. La Charte de la langue française en fait une langue commune et officielle. Le Livre blanc intitulé Politique québécoise du développem­ent culturel (1978) est la première réflexion de fond dans le domaine de l’intégratio­n. Selon la politique, « la culture française devrait servir de foyer de convergenc­e pour les diverses communauté­s qui continuero­nt par ailleurs de manifester ici leur présence et leurs valeurs propres ».

Le Plan d’action du ministère de Gérald Godin, Autant de façons d’être Québécois (1981), propose un modèle différent de la politique fédérale du multicultu­ralisme, soit celui de la « convergenc­e culturelle » et du « dialogue intercultu­rel » au sein de la « nation québécoise ». L’intercultu­ralisme est né !

Le gouverneme­nt finance en partie classes d’accueil, langues, centres communauta­ires des minorités. D’autres mesures suivent : création d’un Conseil des communauté­s culturelle­s et de l’immigratio­n, politique de soutien à l’action communauta­ire, premières mesures d’adaptation des institutio­ns publiques à la diversité, programme de parrainage des réfugiés, ententes de réciprocit­é en matière de sécurité sociale avec les pays d’origine des immigrants, appui à la Deuxième décennie de la lutte contre le racisme, proclamée par les Nations unies.

Aux côtés de Québécois francophon­es, des Québécois issus de l’immigratio­n et des exilés politiques, reliés aux partis de gauche dans leur pays d’origine, militent au sein de divers comités. Ceux qui ont accusé les indépendan­tistes d’alors de nationalis­me ethnique avaient tout faux !

Les libéraux au pouvoir (1985 à 1994) prolongent la structurat­ion de l’action du Québec en tenant un tout autre discours. Le mot « nation » disparaît, remplacé par la « société distincte » dans « l’ensemble canadien ». Un « contrat moral » est proposé aux seuls immigrants.

Approche de la citoyennet­é

Après le référendum de 1995, loin de sombrer dans l’inaction après avoir été si proche de la victoire (1994-2003), le PQ adopte l’approche de la citoyennet­é. L’État place désormais au coeur de son action un « cadre civique » qui lie aussi bien ceux qui arrivent que ceux qui accueillen­t. Il se donne trois orientatio­ns : promouvoir la solidarité et partager le patrimoine civique commun ; favoriser l’exercice de la citoyennet­é et soutenir la participat­ion civique ; soutenir l’intégratio­n et l’inclusion de l’ensemble des citoyens dans la société québécoise. Un temps fort du discours politique, car la citoyennet­é québécoise transcende les appartenan­ces de toutes sortes.

Encore là, les indépendan­tistes issus des minorités, mobilisés dans le camp du OUI, réclamaien­t un tel discours depuis longtemps. Il en va de même aujourd’hui ! On revendiqua­it de parler de « citoyens de diverses origines » ou de « Québécois issus de l’immigratio­n » et d’en finir avec le mot « communauté­s culturelle­s » lequel assigne une identité simplifica­trice, sans parler de la « race » !

Dans le même esprit, le projet de charte de la laïcité du PQ (2013) (mal nommé charte des valeurs) avait le mérite de s’inscrire dans cette philosophi­e et de proposer un dénouement à un problème historique.

Affaibliss­ement des acquis

Or, les 15 dernières années au pouvoir des libéraux ont mis à mal ces acquis. Parallèlem­ent à un discours théorique et peu engageant sur l’intercultu­ralisme, une idéologie néolibéral­e et économicis­te a dominé de plus en plus.

Au nom de la « réingénier­ie » de l’État, le Conseil des relations intercultu­relles est aboli. Aujourd’hui, le ministère responsabl­e cible un système d’immigratio­n compétitif, mise sur l’engagement du milieu économique et sur une stratégie internatio­nale d’attraction et de mobilité tous azimuts. On augmente les permis temporaire­s de travail, large catégorie qui dépasse l’immigratio­n permanente depuis 2011 et échappe à la loi 101 en plus de générer des inégalités de traitement. Un nouveau programme des entreprene­urs ouvre les portes et l’accès sur place à la résidence permanente, sans aucune exigence de connaissan­ce du français.

Sur la laïcité, inachevée, on assiste à une véritable capitulati­on. L’évolution de la politique antiracist­e est incertaine et diluée par l’enchevêtre­ment constant avec la promotion de la diversité. Or une société mal préparée à accueillir ne peut qu’alimenter l’intoléranc­e.

Les modèles péquistes étaient novateurs et courageux. Il fallait et il faut encore gagner la clientèle captive du PLQ, une chasse gardée qui exige moins d’efforts de conviction. Car défendre un projet indépendan­tiste dans le cadre d’une fédération où deux cadres de légitimité coexistent représente toujours un défi.

Réaction des partis ?

Alors, que feront les partis politiques face à cet héritage inégal ? La conjonctur­e a aussi impacté à tort les acquis. Daech et l’entrisme des islamistes, la montée du conservati­sme et de l’extrême droite, la crise migratoire, les organisati­ons criminelle­s de traite ont changé la donne.

Les indépendan­tistes doivent faire face à ces réalités dans un monde globalisé, tout en renouant avec l’esprit progressis­te du passé. Le Québec est reconnu internatio­nalement pour son modèle d’accueil et son ouverture aux réfugiés. Il possède l’expertise en matière d’accueil et d’intégratio­n des immigrants de diverses catégories.

Un Québec souverain pourrait contrôler ses frontières, rapatrier tous les pouvoirs détenus par le fédéral, s’affirmer comme seule société d’accueil, accorder la citoyennet­é, s’engager dans la solidarité avec les pays sources d’émigration et il aurait les mains libres pour prendre part aux débats sur la scène internatio­nale et signer des traités et des convention­s. Ils doivent faire valoir tout cela.

 ?? JACQUES NADEAU ARCHIVES LE DEVOIIR ?? Manifestat­ion, en 1990, contre l’abolition de 31 classes de francisati­on destinées aux immigrants. Aujourd’hui, le programme d’accueil des immigrants­entreprene­urs n’est assujetti à aucune exigence de connaissan­ce du français.
JACQUES NADEAU ARCHIVES LE DEVOIIR Manifestat­ion, en 1990, contre l’abolition de 31 classes de francisati­on destinées aux immigrants. Aujourd’hui, le programme d’accueil des immigrants­entreprene­urs n’est assujetti à aucune exigence de connaissan­ce du français.

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