Le Devoir

Héritages : un projet d’égalité hommefemme

Le président dépose un projet de loi qui déroge du droit islamique en vigueur au pays

- CAROLINE NELLY PERROT

Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, a annoncé lundi son soutien à un projet de loi inédit dans le monde arabe pour rendre hommes et femmes égaux en matière d’héritage, un texte qui divise, car il déroge à un principe inspiré du Coran.

La loi tunisienne actuelle, qui s’appuie sur le droit islamique, prévoit que, en règle générale, un homme hérite le double d’une femme du même degré de parenté.

Le dépôt d’un projet de loi établissan­t l’égalité est une «avancée majeure, inédite » a salué la présidente de l’Associatio­n tunisienne des femmes démocrates, Yosra Frawes.

« Nous donnons de l’espoir à toutes les femmes dans le monde arabe», s’est réjoui de son côté Bochra Belhaj Hmida, la présidente de la Commission des libertés individuel­les et de l’égalité (Colibe), mise en place par le président. La Colibe a fait de cette égalité une de ses propositio­ns phares pour moderniser la société tunisienne.

Elle a souhaité que « le Maroc prenne la suite ». Longtemps tabou, le débat sur l’héritage a également surgi dans ce pays ces derniers mois.

Quelques heures après l’annonce du président tunisien, deux mille personnes, selon la police, dont de nombreuses femmes, ont manifesté dans le centre de Tunis.

« Nous sommes redescendu­s dans la rue pour l’égalité », ont clamé les manifestan­ts. De nombreuses femmes ont arboré le drapeau tunisien rouge et blanc, ou se sont drapées dedans, a constaté une journalist­e de l’AFP.

Samedi, une manifestat­ion hostile aux propositio­ns de réforme sociétales de la Colibe avait rassemblé plus de 5000 personnes à Tunis.

« Inverser la situation »

« On va inverser la situation », en faisant de l’égalité la règle et de l’inégalité, une dérogation, a déclaré le président tunisien dans un discours télévisé à l’occasion de la journée de la femme tunisienne.

L’égalité dans l’héritage est l’une des mesures les plus débattues parmi une série de réformes sociétales proposées par la Colibe afin de traduire dans la loi l’égalité consacrée par la Constituti­on de 2014, adoptée dans la foulée de la Révolution ayant mis fin à la dictature.

Le projet de loi prévoit néanmoins de laisser la possibilit­é au testateur « soit d’appliquer la Constituti­on, soit de choisir la liberté », a-t-il précisé.

Le patrimoine familial serait partagé par défaut de façon égale entre héritiers hommes et femmes. Le propriétai­re du patrimoine aurait toutefois la possibilit­é d’aller chez un huissier-notaire afin de répartir son bien selon la règle des deux tiers pour l’homme, un tiers pour la femme.

Ysra Frawes a regretté que le président ne soit « pas allé jusqu’au bout », en rendant l’égalité obligatoir­e.

Le débat s’annonce houleux au Parlement, surtout à l’approche des scrutins législatif et présidenti­el prévus en 2019.

Difficile toutefois d’évaluer les chances que ce texte soit voté à courte échéance : peu d’élus ont pris position clairement sur un sujet qui divise au sein même de chaque parti, alors que des dizaines de lois sont toujours en attente d’être votées par une assemblée dont les travaux avancent péniblemen­t, en raison des clivages et de l’absentéism­e.

L’annonce survient alors que le parti au pouvoir, Nidaa Tounès, fondé par M. Caïd Essebsi en 2012, est profondéme­nt secoué par des luttes de pouvoir, et tente de regagner du terrain face au parti d’inspiratio­n islamiste Ennahdha, aujourd’hui principale formation au Parlement.

Le président, insistant sur le fait que la Tunisie est « un État civil », a appelé les élus d’Ennahdha à voter le projet de loi qui doit être présenté aux députés dès la fin des vacances parlementa­ires selon lui.

Un dirigeant d’Ennahdha, l’ancien premier ministre Ali Larayedh, s’est borné à déclarer lundi que le combat pour les droits des femmes « n’est pas contre la religion et l’identité, mais se fait dans le cadre des enseigneme­nts de la religion ».

Nidaa Tounès, dont les élus semblent divisés sur la question, a assuré dans un communiqué dimanche que « la réalisatio­n de l’égalité totale demeure un objectif noble et que les conditions pour l’atteindre sont aujourd’hui réunies ».

 ?? FETHI BELAID AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Plusieurs Tunisienne­s sont descendues dans les rues de Tunis, lundi, après l’annonce du projet de loi visant à donner une plus grande égalité aux femmes en matière d’héritage. Mais la question divise les élus et on ignore si la loi sera adoptée.
FETHI BELAID AGENCE FRANCE-PRESSE Plusieurs Tunisienne­s sont descendues dans les rues de Tunis, lundi, après l’annonce du projet de loi visant à donner une plus grande égalité aux femmes en matière d’héritage. Mais la question divise les élus et on ignore si la loi sera adoptée.

Newspapers in French

Newspapers from Canada