Le Devoir

L’oeuvre de la cinéaste abénaquise Alanis Obomsawin sera le sujet d’une grande murale montréalai­se

Un concours organisé par MU est ouvert exclusivem­ent aux artistes autochtone­s. Discrimina­tion ou démarche bénéfique ?

- CATHERINE LALONDE

L’oeuvre de la cinéaste abénaquise Alanis Obomsawin sera le sujet d’une grande murale montréalai­se pensée par MU, aux côtés de celles dédiées à Michel Tremblay, Dany Laferrière ou Clémence DesRochers. Or, le concours pour trouver l’artiste qui signera cette 20e oeuvre, Hommages aux bâtisseurs culturels montréalai­s, essuie des critiques en s’adressant « exclusivem­ent aux artistes profession­nels autochtone­s canadiens ». Discrimina­tion ou démarche bénéfique ?

Ces « concours dédiés » se font régulièrem­ent en Alberta et en ColombieBr­itannique, surtout en art public ou lorsqu’on parle de contenu autochtone, comme le contextual­ise le professeur en histoire de l’art à l’UQAM, Jean-Philippe Uzel.

Dans le Journal de Montréal, Sophie Durocher a nommé la démarche comme « discrimina­toire ». Un qualificat­if que la cofondatri­ce de MU, Elizabeth-Ann Doyle, réfute. « On ne fait pas toujours des concours pour trouver nos artistes. Le plus souvent, ils sont sur invitation seulement », une manière de faire plus exclusive encore, qui n’a pourtant jamais attiré de holà. De son côté, le Regroupeme­nt des artistes en arts visuels du Québec n’a pas voulu commenter, spécifiant toutefois que le sujet est à l’ordre du jour.

Comme pour toutes les murales de cette série, celle-là se pense en collaborat­ion avec «le bâtisseur» concerné, « jusque dans le choix de l’artiste qui va les représente­r ; et c’est normal, c’est une représenta­tion de soi pérenne dans l’espace public », poursuit la directrice artistique et générale de l’organisme producteur de murales. Alanis Obomsawin aurait aimé que Leo Yerxa, qui avait fait son portrait pour la pochette du disque Bush Lady (1984), signe l’oeuvre. Mais il est décédé en 2017. « Ce serait un cadeau pour moi s’il y avait un artiste de nos peuples mêlé à ça», a confié madame Obomsawin. « Ça fait tellement longtemps que la voix de nos gens est dite par des étrangers, qu’on nous dit qui on est, qu’on n’a même pas le droit de dire nous-mêmes qui on est. Maintenant, ça change. Des artistes des Premières Nations, des Innus, des Métis, y’en a plein. Moi, j’aimerais qu’une personne des Premières Nations soit là, parmi les autres — parce que ça se fait à plusieurs — pour travailler cette murale-là. »

C’est Elizabeth-Ann Boyle qui a pensé, conséquemm­ent, à ouvrir le concours seulement aux autochtone­s. «J’assume parfaiteme­nt le choix de donner une vitrine particuliè­re aux artistes autochtone­s pour rendre hommage à madame Obomsawin, parce qu’ils sauront représente­r la richesse de l’héritage culturel avec toute la finesse et la profondeur qui la distingue, et qui devrait pouvoir aller plus loin qu’un simple portrait. De façon générale, poursuit la directrice, l’art mural s’inscrit de manière cohérente dans une démarche, dans un quartier — on cherche un mur dans Ville-Marie parce que c’est là que Mme Obomsawin réside depuis 50 ans —, dans une communauté, dans la diversité de Montréal. Quand on a fait la murale coin Saint-Laurent et René-Lévesque, à l’entrée du quartier chinois, on a choisi deux artistes asiatiques », illustre la directrice.

Le politique de l’art public

L’art public, rappelle le prof Uzel, est marqueur de territoire. « Il y a les questions symbolique et immédiatem­ent politique de l’art public, très fortes, liées au territoire où l’oeuvre est présentée. Et il y a un vide criant à Montréal en oeuvres d’art public pérennes signées par des Autochtone­s. La seule, c’est le Totem Kwakiutl, de Henry et Tony Hunt, construite pour le pavillon des Indiens d’Expo 67. Toutes les autres sont éphémères, ou faites par des artistes amateurs du Nunavik ou du Nunavut qui ont travaillé avec des profession­nels non autochtone­s. La démarche de MU s’inscrit donc dans une prise de conscience générale, bénéfique », croit le spécialist­e.

« ll y a un mouvement extraordin­aire actuelleme­nt en arts visuels autochtone­s», a continué Mme Boyle. «Les muralistes sont rares. J’ai, comme directrice artistique, un intérêt à aider à en former. Il n’est pas dit que ce projet ne sera pas fait en collaborat­ion avec des Blancs, qui aideraient un artiste peintre autochtone, par exemple. Mais mon rêve, je ne le cache pas, ce serait que ce soit une femme autochtone qui signe ce projet-là. Parce que ce serait cohérent. »

Ce serait un cadeau pour moi s’il y avait un artiste de nos peuples mêlé à ça

ALANIS OBOMSAWIN

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OLIVIER BOUSQUET MU a toujours eu de l'intérêt pour l'art autochtone, selon sa directrice Elizabeth-Ann Doyle. Ici, Qanuqtuurn­iq, réalisée en 2016 par des jeunes de Cape Dorset, au Nunavut, en collaborat­ion avec des muralistes profession­nels.

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