Le Devoir

Albert Millaire s’est éteint

- ANDRÉ LE COZ

Il a brûlé les planches du Québec durant plus de 60 ans, y jouant les hommes politiques comme les crapules, les fous ou les amoureux, au théâtre, à la télévision et au cinéma, pour les petits et les grands. Le comédien Albert Millaire est décédé mercredi à 83 ans, chez lui, entouré de sa famille. Sur notre photo, Albert Millaire dans une scène de La céleste bicyclette.

Il a brûlé les planches du Québec durant plus de 60 ans, y jouant les hommes politiques comme les crapules, les fous ou les amoureux, au théâtre, à la télévision et au cinéma, pour les petits et les grands. Grand amoureux de la langue, féru de classiques, il a joué en anglais comme en français, passant de Shakespear­e aux téléromans, de Corneille à Patrick Senécal. Le comédien Albert Millaire est décédé mercredi à 83 ans, chez lui, entouré de sa famille.

Le Conseil des arts du Canada a mis son drapeau en berne hier en son honneur, et le Théâtre du Nouveau Monde lui préparera un hommage sous peu. Pour Lorraine Pintal, directrice du Théâtre du Nouveau Monde, qui a déjà joué à ses côtés à la télévision mais qui l’a aussi dirigé comme metteure en scène, Albert Millaire était l’incarnatio­n même de l’acteur. « Il avait tout ce qu’il fallait pour jouer, dit-elle. Et il a tout joué. C’est cette possibilit­é de métamorpho­se, de transforma­tion, qui fait le grand acteur ou la grande comédienne. Pour se transforme­r, il ne faut plus être soi. Il faut se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. »

Ses personnage­s, Albert Millaire les a côtoyés au plus intime, de Tartuffe à Salieri, de Lemoyne d’Iberville à Wilfrid Laurier. Au cours des dernières années, il a d’ailleurs repris plusieurs d’entre eux, dans le cadre d’un spectacle intime intitulé Mes amours de personnage­s, après avoir signé une autobiogra­phie du même nom.

La passion des personnage­s

« Plus les personnage­s sont déments, déplacés, assassins, plus ils sont intéressan­ts », racontait-il dans le film de Yanie Dupont-Hébert Albert Millaire,

mes personnage­s, ma vie. « Tartuffe est un être ignoble », disait-il. Il s’est donc inspiré de son rôle de Tartuffe pour interpréte­r Iago, dans Shakespear­e, tout aussi dépravé. Et ces deux monstres sont aussi venus à sa rescousse pour créer le personnage de Salieri, dans la pièce Amadeus de Shaffer, dans laquelle il a connu un très grand succès.

Lorraine Pintal se souvient de lui avoir offert le rôle du juge dans Les

sorcières de Salem. « Il volait le show littéralem­ent, dit-elle. La scène du procès est celle où le juge confond les sorcières dans leurs mensonges. Il était formidable : une voix, une diction, une présence… » Albert Millaire avait lui-même mis en scène cette pièce en 1965. Il a d’ailleurs été codirecteu­r du Théâtre du Nouveau Monde alors que celui-ci était dirigé par Jean-Louis Roux.

Tout amoureux des classiques qu’il fût, Albert Millaire a évolué avec son temps. En tant que directeur artistique du Théâtre populaire, il a notamment mis à l’affiche la troupe du Grand Cirque ordinaire, qui proposait un théâtre alternatif. Il a aussi signé de nombreuses mises en scène. Comme Janine Sutto et Gabriel Gascon, disparus tout récemment, il faisait partie de cette génération de comédiens qui ont fait naître la télévision d’ici. Il se réjouissai­t d’ailleurs d’être associé pour toujours dans l’imaginaire de beaucoup de Québécois au personnage de Pierre Lemoyne d’Iberville, dans une télésérie où il tenait le rôle-titre. De Wilfrid Laurier, qu’il a également incarné à la télévision, il dira que c’était un personnage réellement sans failles.

Né à Montréal, Albert Millaire a grandi auprès de sa mère, veuve, dans le quartier de Ville-Émard. C’est grâce à une petite bourse, qu’il obtient en manifestan­t un intérêt pour la prêtrise, qu’il peut poursuivre au cours classique. Mais il se découvre rapidement une passion pour le théâtre. « J’ai tout de suite su que c’était ma vie », dira-t-il plus tard. Il étudiera au Conservato­ire d’art dramatique du Québec, puis à Paris et à Londres. Son premier rôle sera celui de Vladimir dans En attendant

Godot de Samuel Beckett, en 1956.

« Savoir vieillir »

«Il faut savoir vieillir », disait-il à Jean Faucher, qui a publié avec lui un livre d’entretiens, chez Québec Amérique. « Il me faudra quarante ans avant de jouer un OEdipe crédible, dans OEdipe à Colonne. »

Pour Lorraine Pintal, Albert Millaire était précisémen­t un acteur qui a bien vieilli.

« Académiste et intrinsèqu­ement féru de tradition, il est aussi… incroyable­ment d’avant-garde», écrit à son sujet la comédienne Catherine Bégin, en préface de ces entretiens.

Albert Millaire y reconnaît aussi avoir un certain temps été relégué aux seconds rôles, notamment lorsque le Québec, en pleine mouvance nationalis­te, préférait Michel Tremblay à Roch Carrier.

« À Montréal, certains m’avaient accusé d’être parti, d’avoir quitté le Québec. Dès le début des années 1970, on m’avait quasiment reproché d’avoir déserté au profit de l’anglais, de l’Ontario. On m’avait traité de vire-capot », raconte-t-il.

Clothilde Cardinal, directrice de la programmat­ion à la Place des Arts, a accompagné Albert Millaire en tournée lorsque celui-ci tenait le premier rôle dans la pièce Urfaust, produite par le théâtre Ubu. « Il aimait cuisiner. Il avait une cuisine exceptionn­elle, et il aimait rassembler. Il aimait discuter et débattre », dit-elle. Elle raconte aussi comment le témoignage d’Albert Millaire l’a touchée, au moment des célébratio­ns entourant l’anniversai­re de la Place des Arts l’an dernier. À l’époque de l’inaugurati­on de la Place des Arts, qui était aussi celle d’Expo 67, Albert Millaire avait insisté sur l’importance de créer ces lieux culturels.

Chérissant la langue par-dessus tout, il se chagrinait récemment de son déclin.

Il avait tout ce qu’il fallait pour jouer. Et il a tout joué. C’est cette possibilit­é de métamorpho­se, de transforma­tion, qui fait le grand acteur ou la grande comédienne. Pour se transforme­r, il ne faut plus être soi. Il faut se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. LORRAINE PINTAL Académiste et intrinsèqu­ement féru de tradition, il est aussi… incroyable­ment d’avant-garde CATHERINE BÉGIN Plus les personnage­s sont déments, déplacés, assassins, plus ils sont intéressan­ts ALBERT MILLAIRE

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TVA Albert Millaire aux côtés de Sophie Prégent dans la série Le sorcier, en 1995

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