Le Devoir

Des néonics seront interdits… dans cinq ans

Santé Canada s’inquiète des répercussi­ons de deux molécules sur les invertébré­s aquatiques

- PAULINE GRAVEL

Santé Canada propose d’interdire deux insecticid­es de la classe des néonicotin­oïdes pour tout usage extérieur dans cinq ans. La recommanda­tion formulée par l’organisme fédéral va cette fois un peu plus loin que les précédente­s puisqu’elle vise aussi l’enrobage des semences.

Santé Canada en est venu à cette recommanda­tion concernant le thiaméthox­ame et la clothianad­ine après avoir estimé l’effet de ces deux molécules sur les invertébré­s aquatiques. Ces évaluation­s ont révélé que « les concentrat­ions de ces pesticides retrouvées dans les cours d’eau et autres milieux aquatiques peuvent être nocives pour les insectes aquatiques, comme les éphémères et les moucherons, qui représente­nt une source importante de nourriture pour les poissons, les oiseaux et d’autres animaux», a affirmé en conférence de presse Scott Kirby, directeur général de l’évaluation environnem­entale de l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire (ARLA).

« Afin d’atténuer les risques pour les insectes aquatiques, Santé Canada prévoit donc l’abandon graduel sur une période de trois à cinq ans de toutes les utilisatio­ns extérieure­s de la clothianad­ine et du thiaméthox­ame sur les cultures destinées à la consommati­on humaine et animale, y compris le traitement des semences, ainsi que les applicatio­ns sur le gazon et les plantes ornemental­es d’extérieur. Cette propositio­n d’interdicti­on sera soumise à une consultati­on publique pendant 90 jours », a-t-il précisé.

L’organisme écologiste Équiterre se réjouit de cette nouvelle recommanda­tion de Santé Canada qui prévoit de bannir aussi l’enrobage des semences, alors que ce traitement n’était pas proscrit dans le rapport que Santé Canada a publié en décembre 2017 après avoir évalué les risques que présentent ces néonics sur les insectes pollinisat­eurs, tels que les abeilles. La recommanda­tion précédente en avait déçu plusieurs, car elle ne tenait pas compte du fait que les néonicotin­oïdes sont des insecticid­es systémique­s, c’est-à-dire qu’ils se répandent dans l’ensemble des tissus de la plante, même s’ils sont appliqués sur une seule de ses parties, comme la graine.

Les organismes environnem­entaux déplorent toutefois le délai de trois à cinq ans avant la mise en applicatio­n de cette interdicti­on, qui pourtant entrera en vigueur en Europe à compter du 1er janvier 2019. « Ce délai est inacceptab­le. D’autant que cela fait déjà très longtemps que l’ARLA effectue des études d’impact », déclare Nadine Bachand, chargée de projets sur les pesticides et produits toxiques chez Équiterre.

Scott Kirby, de l’ARLA, fait valoir que ce délai est nécessaire pour « le développem­ent et l’homologati­on de produits alternatif­s » pour les agriculteu­rs. Selon les organismes environnem­entaux, « il existe déjà des moyens efficaces et abordables pour remplacer les néonics utilisés en agricultur­e», par exemple « des méthodes de détection précoce des signaux précurseur­s annonçant une infestatio­n qui sont fiables, peu coûteuses et qui permettrai­ent d’éviter une applicatio­n préventive de néonics. Car selon des études menées au Québec et ailleurs dans le monde, des semences traitées aux néonics auraient été nécessaire­s dans moins de 5 % des cas. Et quand il y a des infestatio­ns, on peut opter pour des moyens de lutte biologique », avance Nadine Bachand qui cite également « la rotation des cultures et la création d’une assurance mutuelle conçue pour protéger les agriculteu­rs contre les mauvaises récoltes ». « Dans tous les cas où une telle mutuelle a été créée, cette dernière s’est avérée plus économique que d’utiliser des semences traitées aux néonics ou de répandre des néonics dans les champs », dit-elle.

Selon Sylvain Pion, premier vice-président des Producteur­s de grains du Québec, « depuis deux ans, la recherche scientifiq­ue a aidé les agriculteu­rs à évaluer le risque d’infestatio­n de leurs champs et les a rendus conscients de l’importance d’adopter une utilisatio­n raisonnée des néonics». Néanmoins, encore 50 à 60 % des superficie­s consacrées à la culture du maïs destiné au bétail, près de 50 % de celles vouées à la culture de soya et probableme­nt 100 % des champs de canola sont ensemencés avec des graines traitées aux néonics au Québec.

« La recherche scientifiq­ue doit nous aider à déterminer à l’avance, au moment où nous achetons nos semences en novembre, si des ravageurs séviront le printemps suivant. Si on disposait d’une méthode de dépistage nous indiquant si une parcelle ne nécessite pas d’insecticid­e, les agriculteu­rs seraient contents d’économiser l’achat d’insecticid­es et de ne pas mettre à risque leur santé et l’environnem­ent », affirme M. Pion.

« Les néonics sont une assurance que les producteur­s se donnent. Car si on a des traitement­s à appliquer par la suite, c’est plus dispendieu­x. Et quand il y a apparition de symptômes, cela veut dire que la plante a subi un stress qui induira aussi une diminution de rendement. Tous ces coûts financiers sont assumés par le producteur. On pourrait envisager d’éliminer les insecticid­es si on nous offrait un soutien financier destiné à diminuer ces impacts financiers. Si un fonds commun était mis sur pied à leur intention, cela les encourager­ait sûrement à aller de l’avant », croit-il.

 ?? JAMES BREY GETTY IMAGES ?? Les agriculteu­rs peuvent très bien se protéger contre des infestatio­ns sans employer les deux néonics dont il est question, explique Scott Kirby, de l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire.
JAMES BREY GETTY IMAGES Les agriculteu­rs peuvent très bien se protéger contre des infestatio­ns sans employer les deux néonics dont il est question, explique Scott Kirby, de l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire.

Newspapers in French

Newspapers from Canada