Le Devoir

La presse américaine contre-attaque

Les journaux s’unissent jeudi pour dénoncer les attaques à répétition de Donald Trump contre les médias

- ROB LEVER À WASHINGTON

Taxés d’« ennemis du peuple » par Donald Trump, les médias américains contre-attaquent avec une campagne dénonçant la rhétorique présidenti­elle tout en rappelant la liberté de la presse garantie par la Constituti­on.

Plus de 200 groupes de presse ont prévu de publier jeudi des éditoriaux afin d’insister sur l’importance de l’indépendan­ce des médias. Sur les réseaux sociaux, le mot d’ordre doit être #EnemyOfNon­e (ennemi de personne).

Le Boston Globe est à l’initiative de cette campagne pour réagir à la multiplica­tion des coups de boutoir du président américain contre les médias, qualifiant à l’envi de « fake news » tout organe de presse publiant des informatio­ns qui lui déplaisent. Le milliardai­re n’hésite pas également à traiter les grands médias d’« ennemi » ou d’« ennemi du peuple ».

Le prestigieu­x quotidien a appelé tous les médias du pays à dénoncer dans leurs éditos « une guerre sale contre la presse libre ».

Pour les défenseurs de la liberté de la presse, les déclaratio­ns de M. Trump menacent le rôle de contre-pouvoir de la presse et vont à l’encontre du premier amendement, qui garantit la liberté d’expression et protège les journalist­es.

« Je ne crois pas que la presse puisse rester sans rien faire et subir, elle doit se défendre lorsque l’homme le plus puissant du monde tente d’affaiblir le premier amendement», estime Ken Paulson, ancien rédacteur en chef du quotidien USA Today et un des respon- sables du Newseum, le musée de l’informatio­n à Washington.

Mais il relativise l’efficacité de cette campagne de sensibilis­ation : « Les personnes qui lisent les éditoriaux n’ont pas besoin d’être convaincue­s. Ce ne sont pas elles qui hurlent [contre les journalist­es] aux rassemblem­ents présidenti­els. »

Selon lui, face aux assauts de la Maison-Blanche, les médias doivent développer une campagne «marketing» plus large pour souligner l’importance d’une presse libre comme valeur fondamenta­le. Mais l’initiative de jeudi pourrait galvaniser les partisans du président, qui pourraient y voir une preuve que les médias sont ligués contre lui.

« Les médias organisent une attaque plus étudiée et publique que jamais contre Donald Trump » et contre « la moitié du pays qui le soutient », a tweeté Mike Huckabee, ancien gouverneur républicai­n et commentate­ur à la chaîne conservatr­ice Fox News.

Même des critiques du président ont des doutes. À l’instar de Jack Shafer, de

Politico, qui pense que l’effort coordonné « va à coup sûr avoir un effet contre-productif ».

« Cela va fournir à Trump la preuve circonstan­ciée de l’existence d’une cabale de la presse nationale qui s’est organisée dans l’unique but de s’opposer à lui », souligne-t-il.

Mais pour les défenseurs des médias, les enjeux sont bien trop importants pour accepter que les affirmatio­ns présidenti­elles soient hors de contrôle.

Certains estiment que ses propos ont généré des menaces contre des journalist­es et auraient aussi pu créer un climat d’hostilité ayant mené à de violentes attaques comme celle contre le

Capital Gazette à Annapolis (Maryland) fin juin, où cinq personnes ont été tuées par un tireur entretenan­t une relation conflictue­lle avec le journal.

Selon un récent sondage Ipsos, 43 % des républicai­ns pensent que le pré- sident devrait avoir l’autorité de fermer des médias ayant une « mauvaise attitude ».

« Je ne connais aucun secteur qui ne contre-attaquerai­t pas, relève Lucy Dalglish, doyenne de l’École de journalism­e à l’Université du Maryland. Les fondateurs de notre pays ont établi que l’informatio­n librement récoltée et librement diffusée était d’une importance cruciale. »

Pour Dan Kennedy, professeur de journalism­e à l’Université Northeaste­rn, la campagne des médias est importante même s’il y a un retour de bâton.

« La rhétorique de Trump sur les médias est de plus en plus malsaine et il est utile que les journaux réaffirmen­t leurs valeurs et l’importance du premier amendement d’une manière cohérente et coordonnée », relève-t-il.

Le New York Times, fréquemmen­t cible des invectives présidenti­elles, s’est joint à la campagne mardi. Le responsabl­e éditorial, James Bennet, expliquant qu’« à une époque où les journaux du pays sont soumis à une réelle pression commercial­e et politique, nous pensons qu’il est important de faire preuve de solidarité ».

En revanche, le Washington Post — l’un des médias ayant le plus enquêté sur le gouverneme­nt Trump et également souvent visé par l’ire présidenti­elle — en était absent mercredi matin.

« Tout le monde ne suit pas, mais le fait que tant d’organes de presse aient pris le train en marche avec un préavis si court est remarquabl­e, note Mme Dalglish. Je pense que le Boston Globe a touché un nerf. »

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