Brader la qualité pour le plus bas prix
Lettre adressée à Brian Myles, directeur du journal Le Devoir
C’est avec grand intérêt que j’ai lu votre éditorial concernant le mode d’attribution des contrats de services professionnels en architecture et en génie.
Je partage plusieurs de vos points de vue, mais aimerais apporter certaines réflexions qui, me semble-t-il, ont été omises.
Vous mentionnez que l’« octroi des contrats publics au meilleur coût possible n’est malheureusement pas une science exacte. Prix ou qualité? Les deux méthodes peuvent cohabiter, selon la nature des ouvrages et des services requis ».
Vous avez raison. Malheureusement, le projet de règlement en place ne distingue nullement les limites acceptables autrement qu’en imposant uniquement le critère de prix pour les projets dits techniques, et en le permettant pour tous les autres. Or, les pressions actuelles faites aux gestionnaires du gouvernement, dont les budgets ne cessent d’être coupés, sont telles que de permettre de choisir le prix le plus bas ne peut que l’y imposer indirectement. L’obligation est donc soit réglementaire, pour les projets techniques (que le projet de règlement ne définit d’ailleurs pas), ou purement conséquente pour les autres.
Mais aussi, votre éditorial mentionne que l’« évaluation des soumissions selon leur qualité étant largement subjective, cette méthode ouvre la porte au copinage entre les donneurs d’ouvrage et les fournisseurs de services, comme c’était le cas avant la réforme législative de 2002 ».
C’est vrai, mais il y a ici une différence fondamentale entre la méthode d’octroi sur qualité, et celle sur prix. Pour qu’il y ait manipulation de la méthode sur qualité, le copinage doit impliquer les donneurs d’ouvrage et les fournisseurs de services. On doit en effet manipuler un jury choisi par le donneur d’ouvrage. Mais avec la méthode sur prix, le donneur d’ouvrage n’a pas à être impliqué dans la magouille, puisque le prix le plus bas n’est apparemment pas une donnée subjective.
Il devient donc clair qu’il est nettement plus facile pour le gouvernement du Québec de contrôler les appels d’offres sur qualité, puisque toute manipulation du résultat l’impliquerait obligatoirement, alors que sur prix, le tout se passerait sans lui !
Une réflexion appronfondie
La conception de notre environnement bâti implique une réflexion approfondie dont les impacts sont multiples et dépassent de loin les préoccupations esthétiques, qu’elles intègrent pourtant. La bonne conception des infrastructures permet la pérennité des installations et donc, à moyen et à long terme, offre des économies directes et tangibles dépassant largement le prix des honoraires initiaux.
C’est ce qui a amené le gouvernement du Québec à créer en 1984 des décrets régissant la rémunération pour services professionnels rendus par les architectes et les ingénieurs.
Ces décrets définissent clairement les livrables et décident à l’avance de la rémunération à offrir en fonction du type de services à rendre et de la complexité de l’intervention. Ils permettent donc de choisir les professionnels sur base de qualité, et de tous les rémunérer au même coût, en fonction des services rendus.
C’est une façon tout à fait congrue d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix, soit obtenir la qualité maximale pour un prix égal, jugé équitable et qu’on est capable de se payer.
Brader aujourd’hui les services professionnels de conception, c’est garantir un surcoût substantiel pour demain. Et c’est ce que le gouvernement actuel propose. On entend bien le ministre Poëti s’excuser en affirmant que l’utilisation de ces nouvelles dispositions réglementaires serait l’exception et non pas la règle, mais monsieur Poëti quitte l’Assemblée nationale pour le privé en octobre et le règlement ne parle absolument pas d’une utilisation exceptionnelle. Il y a donc lieu de se poser la question sur la nécessité et les incitatifs à pareil règlement.
Nous n’élisons pas nos représentants en fonction du prix qu’ils proposent pour leur rémunération. Nous ne choisissons pas nos médecins en fonction du prix de leurs services. Et Dieu merci !
Je ne lis pas Le Devoir parce qu’il m’a été offert au prix le plus bas. Je le lis à cause de la qualité du débat qu’on y trouve et auquel vous contribuez grandement.
Voir les services professionnels en architecture de la même manière ne me semble pas être un exercice incongru. Ça reste un point de vue d’architecte, je ne m’en cache pas, mais notre environnement construit me tient à coeur, et je vois mal comment ce projet de règlement pourrait l’améliorer.