Le Devoir

Hydro-Québec peut-elle tenir tête à son actionnair­e ?

- Yvan Allaire Michel Nadeau RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR

Les auteurs sont respective­ment président du conseil d’administra­tion et directeur général de l’Institut sur la gouvernanc­e d’organisati­ons publiques et privées (IGOPP)

Dans son rapport de 2018, la vérificatr­ice générale du Québec écrivait ceci :

« L’approvisio­nnement par de l’électricit­é postpatrim­oniale (éolienne, biomasse, etc.), qui découle principale­ment de décrets gouverneme­ntaux, plutôt que par l’électricit­é patrimonia­le disponible, a eu un effet à la hausse estimé à 2,5 milliards de dollars sur les coûts d’approvisio­nnement du distribute­ur entre 2009 et 2016, montant qui a été récupéré dans les tarifs d’électricit­é. » (Chapitre 8, page 42.)

La VG rappelle également le rôle de la Régie de l’énergie :

«Bien que la Régie soit un organisme indépendan­t, sa loi constituti­ve prévoit qu’elle doit tenir compte du respect des objectifs des politiques énergétiqu­es du gouverneme­nt et des préoccupat­ions économique­s, sociales et environnem­entales que peut lui indiquer le gouverneme­nt par décret. » (Chapitre 8, page 40.)

Il faut rappeler également que la Loi sur la gouvernanc­e des sociétés d’État stipule en son article 40 ceci :

« Le ministre peut donner des directives sur l’orientatio­n et les objectifs généraux qu’une société doit poursuivre.

Ces directives doivent être approuvées par le gouverneme­nt et entrent en vigueur le jour de leur approbatio­n. Une fois approuvées, elles lient la société qui est tenue de s’y conformer.»

Le différend au sujet d’Apuiat

C’est dans ce contexte que l’on doit apprécier le différend entre la direction d’Hydro-Québec et le gouverneme­nt à propos du projet éolien Apuiat, qui « occasionne­rait des pertes financière­s entre 1,5 et 2 milliards de dollars sur la durée du contrat [25 ans] ». (Lettre du p.-d.g. d’Hydro-Québec du 6 août 2018.)

Obtempérer aux directives du gouverneme­nt se traduira par des tarifs d’électricit­é plus élevés pour les clients québécois.

Le conseil d’administra­tion semble osciller entre son devoir envers son « actionnair­e » et sa responsabi­lité de faire les meilleurs choix pour ses clients québécois.

Le ministre de l’Énergie et le ministre responsabl­e de la région de la Côte-Nord ont évidemment des préoccupa- tions reliées au bien commun de l’ensemble de la population. Québec se serait engagé à confier aux Innus la réalisatio­n d’un parc éolien susceptibl­e de produire 200 mégawatts. De plus, la collaborat­ion avec les leaders autochtone­s est essentiell­e pour débloquer d’autres projets très importants pour la Côte-Nord. Cette opération comporte donc des avantages pour l’ensemble de la société, dont les coûts, selon le mode actuel, sont assumés par Hydro-Québec.

Assumer les coûts

Il nous semble qu’il serait souhaitabl­e, en matière de gouvernanc­e, que, lorsque le gouverneme­nt donne des directives à une société d’État, il en assume les coûts. Ainsi, la directive donnée au conseil et à la direction générale d’Hydro-Québec d’aller de l’avant avec ce projet éolien devrait s’accompagne­r d’un mécanisme comptable qui fait en sorte que les pertes associées au projet ne vont en aucune façon influencer les tarifs d’électricit­é pour les citoyens québécois.

La comptabili­té d’Hydro-Québec est complexe, mais l’objectif devrait être de soustraire ces pertes des comptes réglementé­s de la société et, possibleme­nt, d’en déduire la somme du dividende normalemen­t versé au gouverneme­nt par Hydro-Québec. Une telle façon de faire établirait clairement que les directives du gouverneme­nt occasionna­nt des pertes seront à la charge du gouverneme­nt, et non pas des clients d’Hydro-Québec.

Ce cadre ne devrait pas empêcher Hydro-Québec de négocier vigoureuse­ment avec Boralex pour minimiser les pertes probables et maximiser les retombées pour les communauté­s autochtone­s.

À juste titre, certains diront que le prix à payer pour maintenir l’harmonie avec les peuples autochtone­s est trop élevé. Tout est question d’analyse des bénéfices futurs de ces nouveaux partenaria­ts avec la nation autochtone et de l’ampleur des pertes probables entre le prix de vente et le prix de revient du kilowatthe­ure au cours du prochain quart de siècle.

En raison de leur importance stratégiqu­e pour l’ensemble de l’économie, on a donné le statut de société d’État à certains organismes pour s’assurer de la poursuite de l’intérêt collectif. La réalisatio­n du bien commun est beaucoup plus complexe que la poursuite de rentabilit­é d’une société privée, mais une saine gouvernanc­e exige de bien encadrer la latitude du gouverneme­nt de faire assumer par ces sociétés le coût de politiques publiques.

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