Le Devoir

La campagne des chefs

Avec la mise en place d'une élection à date fixe, les partis disent avoir tiré avantage de la nouvelle règle sur le scrutin

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Les formations politiques québécoise­s composent pour la première fois cette année avec le principe d’une élection à date fixe. Un changement qui a modifié la manière de mener la précampagn­e électorale, disent-ils.

Mine de rien, avec l’adoption de la loi instaurant des élections à date fixe — c’était en juin 2013 —, l’Assemblée nationale a enlevé aux commentate­urs politiques un sujet de discussion récurrent et d’autant plus fertile qu’il s’appuyait sur des rumeurs: à quand les prochaines élections ?

Finies, les conjecture­s ! À une variable près : il a fallu attendre le congrès des jeunes libéraux pour connaître la date exacte du déclenchem­ent de la campagne (ce sera jeudi). Pour le reste, le 1er octobre 2018 est entouré sur le calendrier de tous les partis depuis plus de quatre ans. Ça n’a pas empêché quelques rumeurs de déclenchem­ent hâtif, mais voilà : on y est.

« Ça a clairement modifié notre façon de nous préparer et de mener la précampagn­e électorale, disait jeudi au Devoir un stratège caquiste. Ça fait un an qu’on a commencé la scénarisat­ion de la campagne, ce qu’on voulait faire avant, ce qu’on fera durant les premiers jours. Quand tu peux prévoir — et même si on sait que bien des choses vont changer au cours de la campagne —, il y a des avantages stratégiqu­es intéressan­ts. »

C’est là un constat que dressent aussi des stratèges péquiste et solidaire (les libéraux n’ont pas répondu). « Les avantages d’avoir une élection à date fixe dépassent largement les inconvénie­nts », dit l’une. « Ça me semble plus juste pour tous les partis », ajoute l’autre.

Professeur de science politique à l’Université Laval, Marc-André Bodet estime globalemen­t qu’avoir une élection à date fixée d’avance « élimine une incertitud­e et un certain arbitraire dans le jeu politique, en plus de permettre aux partis d’opposition de mieux se préparer. Quand on pèse le pour et le contre, je pense que c’est un progrès ».

Précampagn­e

Les formations ont utilisé différemme­nt cette nouvelle donne quand est venu le temps de planifier la précampagn­e estivale.

« On a regardé ce qui s’est fait au fédéral en 2015 [la campagne avait été déclenchée le 2 août], et on a vu que le poids média des chefs avait augmenté de 30 % à cette époque, dit le caquiste. C’est beaucoup. Ajouté au fait qu’on pense que ce n’est plus vrai que les gens sont complèteme­nt débranchés de l’actualité en été, on s’est dit que ça valait la peine d’être très présents tout l’été. »

Annonces de candidatur­es faites au compte-gouttes, candidats disponible­s pour réagir à l’actualité, la CAQ a cherché à occuper le plus d’espace possible. Son chef, François Legault, n’a pas pris de vacances (et il l’a claironné).

Au Parti québécois, Jean-François Lisée a certes sillonné le Québec en début d’été, mais il s’est pour sa part accordé une pause ensuite. Il a rappelé cette semaine qu’il a cinq enfants qui vivent principale­ment en Europe, et que c’est «une saine habitude de vie» que de passer un peu de temps avec sa famille.

« C’était aussi une façon de donner une pause aux Québécois, soutient une stratège péquiste. En été, l’intérêt des gens pour la politique n’est pas aussi fort, on parle un peu dans le vide. Alors on s’est dit qu’on n’allait pas brûler temps et énergies : on a choisi d’être plus discrets, tout en maintenant une activité sur le terrain, notamment avec Véronique Hivon [vice-chef désignée]. Puis, il y a eu la campagne de publicité la semaine dernière : on arrive en douceur. C’est l’avantage de la date fixe : on peut planifier ça. »

À Québec solidaire, au-delà de la seule précampagn­e estivale, le fait d’avoir une élection à date fixe a permis différente­s choses, indique une stratège du parti : travail sur l’organisati­on des associatio­ns locales à l’extérieur de Montréal, financemen­t mieux structuré, recrutemen­t de candidats en avance sur les autres partis (en début de semaine, il ne manquait qu’une quinzaine de candidats à confirmer pour QS, contre une trentaine pour les autres partis).

« Il y a aussi un avantage dans l’élaboratio­n de concepts [publicitai­res ou de contenu], indique cette source. On va dévoiler ça bientôt, mais de savoir la date de l’élection permet de ne pas être pris au dépourvu, de bien articuler le message. »

Désavantag­es

Mais il n’y a pas que du bon non plus, notent les observateu­rs. Collègue de M. Bodet à l’Université Laval, Éric Montigny voit certes plusieurs bons côtés au changement législatif — notamment la possibilit­é pour les partis d’affiner leur stratégie préélector­ale par rapport à celle de la campagne officielle (le message), de même que l’opportunit­é pour les partis de tester leur machine et les enjeux qu’ils jugent importants.

« Mais on voit aussi avec le parti au pouvoir présenteme­nt qu’il y a un mélange des genres entre message gouverneme­ntal et électoral, dit-il. On voit une série d’annonces qui font partie d’un plan coordonné sur plusieurs semaines. C’est très structuré, ça implique plusieurs ministres et on voit une intention de cibler des projets dans des circonscri­ptions qui vont être chaudes — comme l’annonce de l’ajout d’un toit au vélodrome de Bromont [dans la circonscri­ption qui était le fief du libéral Pierre Paradis]. »

Cette succession d’annonces par le gouverneme­nt Couillard est aussi pointée du doigt par les trois stratèges interrogés. « Je suis pas mal sûr qu’on va se rendre compte après coup que le budget publicitai­re du gouverneme­nt a explosé dans les semaines précédant l’élection », pense l’un d’eux.

Mais c’est peut-être là un point incontourn­able, ajoute Marc-André Bodet. « Dans un régime parlementa­ire, le vrai choix est toujours entre le statu quo [le parti au pouvoir] et les alternativ­es. Il faut que les électeurs y pensent bien avant d’opter pour une alternativ­e et ses conséquenc­es. Il faut donc donner les moyens au gouverneme­nt de montrer ce qu’il a accompli. »

Le DGEQ a déjà indiqué avoir demandé à son équipe «d’exercer une veille » concernant les dépenses préélector­ales. L’analyse du portrait pourrait amener des recommanda­tions de modificati­ons à la Loi, a-t-il dit.

Ça a clairement modifié notre façon de nous préparer et de mener la précampagn­e électorale. Ça fait un an qu’on a commencé la scénarisat­ion de la campagne, ce qu’on voulait faire avant, ce qu’on fera durant les premiers jours. UN STRATÈGE CAQUISTE

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ISTOCK Les élections à date fixe ont permis aux formations d’utiliser différemme­nt cette nouvelle donne quand est venu le temps de planifier la précampagn­e estivale.

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