Un problème appelé Max
Les multiples provocations du député conservateur Maxime Bernier depuis une semaine à l’égard de son chef Andrew Scheer laissent ce dernier devant un choix peu enviable. Selon les règles du PCC, seulement une majorité de députés peut expulser l’un d’entre eux du caucus. Une telle demande de la part de M. Scheer risquerait de fâcher l’aile libertaire du parti, qui a failli élire M. Bernier comme chef en 2017. Dans une telle situation, les partisans de M. Bernier pourraient bel et bien bouder le PCC lors des élections de 2019, créant la brèche permettant aux libéraux de facilement se faire réélire.
Mais garder M. Bernier au sein du caucus ne ferait que miner le leadership de M. Scheer et donner des armes aux libéraux qui accusent les conservateurs de tolérer des racistes dans leurs rangs. M. Bernier a beau affirmer qu’il n’en est pas un, ses propos contre le « multiculturalisme extrême » du premier ministre Justin Trudeau réconfortent tous ceux pour qui l’immigration et la diversité ethnique sont des tares pour la société canadienne. À moins que M. Bernier ne s’engage à se taire — ce qu’il ne semble pas prêt à faire —, les libéraux auront beau jeu de dépeindre non seulement M. Scheer comme un chef faible, mais son parti comme un refuge pour les racistes.
La croisade que mène M. Bernier depuis son compte Twitter tombe mal pour les conservateurs. À la veille du congrès national du PCC la semaine prochaine à Halifax, un rendezvous voué à la consolidation du message et des troupes conservateurs à l’approche du scrutin de 2019, elle démontre que M. Scheer n’a pas réussi à mettre sa marque sur le parti plus d’un an après sa victoire à l’arraché sur M. Bernier lors de la course à la chefferie de mai 2017. Si l’appui des conservateurs dans les sondages se porte relativement bien, le parti se retrouvant presque à égalité avec le PLC, cela a peu à voir avec la popularité de M. Scheer, mais découle plutôt des déboires des libéraux dans certains dossiers.
Qui plus est, la concentration du vote conservateur dans les Prairies canadiennes cache quelque peu le fait que le PCC est encore loin de la percée qu’il a besoin d’effectuer en Ontario et au Québec pour chasser les libéraux du pouvoir en 2019. La récente victoire du populiste Doug Ford en Ontario risque de nuire au PCC en 2019, plutôt que de l’aider, surtout si la rupture brutale avec le passé que semble vouloir effectuer le premier ministre progressiste conservateur de la province commence à irriter les électeurs ontariens.
Alors que les conservateurs de M. Scheer cherchent à montrer en quoi ils constituent une formation modérée dévouée à la prospérité économique du pays, M. Bernier vient de plonger le parti dans une guerre de culture, pente glissante pour le PCC s’il en est. Les stratèges conservateurs ont horreur des guerres de culture, sachant comment elles se retournent presque toujours contre le parti. La tentative du gouvernement de l’ancien premier ministre Stephen Harper d’interdire le port du niqab lors des cérémonies de la citoyenneté a fait beaucoup de mal au parti au Canada anglais lors de la campagne électorale de 2015. Or, les propos de M. Bernier s’inscrivent dans cette même tendance, chez certains tenants de la droite, de voir la diversité comme une menace à l’inculcation des « valeurs canadiennes » auprès des nouveaux arrivants.
On a beau critiquer la politique identitaire que pratiquent sans cesse les libéraux, exploitant ainsi le sentiment de victimisation chez certaines minorités pour gagner des votes, M. Bernier accuse maintenant son propre parti de jouer ce même jeu. « Le débat politique a dégénéré en un conflit entre différentes façons de racoler des groupes spécifiques au lieu de faire appel à nos intérêts communs », a-t-il écrit dans l’un des multiples gazouillis qu’il a produits durant la dernière semaine, dans les deux langues officielles.
Ses propos ne semblent pas être ceux de quelqu’un qui cherche à aider le PCC à gagner les prochaines élections, mais plutôt de quelqu’un qui cherche à semer la pagaille au sein de son propre parti, quitte à sortir rejouer la bataille de 2017
M. Bernier a prouvé à plusieurs reprises depuis qu’il a perdu la course à la chefferie qu’il n’est pas un joueur d’équipe, mais plutôt un loup solitaire plus préoccupé à bâtir sa propre image. Il multiplie les interventions allant à l’encontre de la politique officielle du parti, entre autres sur la protection de la gestion de l’offre et sur l’appui du PCC au multiculturalisme. Au printemps dernier, M. Scheer lui a retiré le poste de critique de l’opposition officielle en matière d’innovation en guise de punition pour ses écarts de conduite. Mais sa persistance à défier le chef amène les deux anciens rivaux vers un constat inévitable : tôt ou tard, l’un ou l’autre devra partir.