Le Devoir

Et le cannabis au travail ?

- Me Guy Tremblay Me Marc-André Groulx Avocats chez BCF Avocats d’affaires

Alors que la légalisati­on du cannabis deviendra réalité le 17 octobre prochain, tout porte à croire que la consommati­on récréative augmentera significat­ivement. C’est d’ailleurs ce que démontre un rapport de la firme Deloitte publié en juin dernier, qui prévoit une hausse de 35% à cet égard. Le Québec a récemment adopté une loi étoffée visant à encadrer entre autres la vente, l’usage et l’accès à la substance. Devant la légalisati­on et la croissance de l’usage annoncées, le monde du travail est concerné au premier chef et les enjeux de santé et de sécurité du travail sont au coeur des préoccupat­ions de tous les acteurs.

Le gouverneme­nt du Québec a décidé de s’en remettre au droit actuelleme­nt en vigueur concernant la gestion de la consommati­on d’alcool pour composer avec la légalisati­on du cannabis. Rappelons que la Loi sur la santé et la sécurité du travail prévoit déjà qu’un employeur doit prendre les mesures nécessaire­s pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleu­r. Cette même loi a été modifiée en précisant qu’un travailleu­r ne doit pas exécuter une prestation de travail lorsque son état représente un risque pour sa santé et sa sécurité (ou celle des autres) en raison de ses facultés affaiblies.

Dans le cas de l’alcool, l’employeur dispose déjà de moyens de contrôle assez fiables par l’utilisatio­n de l’éthylotest ou l’administra­tion de prélèvemen­ts sanguins, ce qui n’est toutefois pas le cas en ce qui concerne le cannabis.

Pas de contrôles fiables

En effet, la loi québécoise encadrant le cannabis prévoit, à l’article 21, que l’employeur peut encadrer, voire interdire toute forme d’usage du cannabis sur les lieux de travail en vertu de son droit de gérance. Il reviendra aux employeurs, comme c’est le cas actuelleme­nt, de fixer les balises afin de remplir leur obligation d’assurer la santé et la sécurité des salariés.

Malgré ce cadre normatif, certaines questions fondamenta­les demeurent : que faire lorsqu’un employé arrive sur les lieux de travail et qu’il a consommé du cannabis ? Les mêmes règles s’appliquent-elles à un employé qui doit manipuler des équipement­s dangereux, celui qui doit offrir une prestation de service au public ou celui qui exerce un travail de bureau ?

Et que faire lorsqu’une démarche d’accommodem­ent doit être entreprise en présence d’un travailleu­r ayant un problème de dépendance? Dans cette veine, pour s’assurer qu’un salarié agit conforméme­nt aux normes fixées par l’entreprise, l’employeur peut déjà recourir à des tests de dépistage, mais dans des circonstan­ces bien délimitées selon l’état du droit actuel. Elles sont généraleme­nt de trois ordres :

Lorsque l’employeur a des motifs raisonnabl­es de croire qu’un salarié a les capacités affaiblies par la consommati­on d’alcool ou de drogues ; À la suite d’un accident important, lorsque l’employeur a des motifs raisonnabl­es de croire que l’alcool ou la drogue est en cause ; En raison d’un absentéism­e relié à la consommati­on d’alcool ou de drogues.

La possibilit­é d’imposer des tests de dépistage aléatoires est, quant à elle, exceptionn­elle et se limite la plupart du temps à des cas où des problèmes généralisé­s de consommati­on sur les lieux de travail sont constatés. La fouille des effets personnels d’un salarié est également possible, selon des paramètres édictés par la jurisprude­nce. Les sanctions appliquées lorsqu’un salarié intoxiqué offre une prestation de travail vont généraleme­nt, quant à elles, de la suspension au congédieme­nt.

La détection du niveau de THC

La détection des facultés affaiblies par le cannabis représente donc le défi de taille pour les employeurs, à une ère où la consommati­on récréative de cannabis sera permise. Contrairem­ent à l’éthylotest, qui a fait ses preuves depuis plusieurs années, les méthodes de détection du THC permettent simplement d’indiquer que la substance se retrouve dans l’organisme et dans quelle concentrat­ion. Il est difficile d’effectuer une corrélatio­n, contrairem­ent à l’alcool, entre la présence de THC et les facultés affaiblies. En effet, la substance peut demeurer dans l’organisme durant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, ce qui complexifi­e la tâche. Des questionna­ires d’évaluation permettant de déceler un usage problémati­que de cannabis existent, comme le Cannabis Abuse Screening Test (CAST), mais ils sont utilisés et administré­s par le personnel médical et demeurent évidemment soumis à la subjectivi­té du répondant.

Afin d’aider les travailleu­rs et les employeurs à respecter leurs obligation­s en matière de santé et de sécurité au travail, il y aurait donc lieu de s’inspirer des méthodes utilisées par les policiers attitrés à la sécurité routière.

Les agents évaluateur­s spécialisé­s ont déjà recours à des protocoles de contrôle en plusieurs étapes (par exemple, en examinant les pupilles, le pouls, etc.) pour contrôler les facultés des conducteur­s automobile­s. Aussi, ils auront recours sous peu au Dräger Drug Test® 5000, un outil d’analyse salivaire permettant de confirmer la présence de THC dans l’organisme.

À cet égard, il y aurait lieu de se demander si le niveau maximal de concentrat­ion de THC proscrit par le Code criminel pour la conduite automobile, soit deux nanogramme­s par millilitre de sang, peut constituer une mesure adéquate pour établir qu’un travailleu­r n’est pas en mesure d’exercer son travail. L’absence de consensus scientifiq­ue à ce sujet demeure préoccupan­te, et nous ne pouvons qu’espérer des développem­ents à court et à moyen terme.

Bien que les paramètres du droit apportent déjà plusieurs réponses aux enjeux soulevés par cette nouvelle réalité, des angles morts d’importance demeureron­t. Le législateu­r fédéral est déjà intervenu, par l’entremise de la loi C-46, pour encadrer les tests aléatoires des conducteur­s de véhicules. Il appartient maintenant au législateu­r provincial de faire de même pour assurer la sécurité des travailleu­rs.

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NOAH BERGER ASSOCIATED PRESS Devant la légalisati­on du cannabis et la croissance de son usage annoncées, le monde du travail est concerné au premier chef.

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