Toutes voix unies pour Des belles-soeurs polyphoniques
Le Théâtre d’Aujourd’hui présente un hommage au classique de Michel Tremblay, qui épouse la diversité du Montréal d’aujourd’hui
Pour célébrer le 50 e anniversaire de la première lecture publique des Belles-soeurs, tenue le 4 mars 1968, le Centre des auteurs dramatiques présente en clôture de son festival, Dramaturgie en Dialogue, une ambitieuse lecture de la pièce de Michel Tremblay par 15 actrices montréalaises d’origines diverses, chacune s’exprimant dans sa langue maternelle.
«Nous souhaitons rendre hommage au rayonnement exceptionnel d’un texte qui a été traduit dans une vingtaine de langues et joué dans une trentaine de pays, explique Alexia Bürger, à qui on a confié la lourde tâche d’orchestrer cette soirée intitulée Des belles-soeurs polyphoniques. Convier sur scène toutes ces langues, toutes ces comédiennes, c’est à mon sens une manière concrète de refléter la diversité culturelle du Montréal d’aujourd’hui. Laissez-moi vous dire que ça va donner lieu à un méchant party !»
Sur scène, 15 comédiennes de la diversité avec lesquelles Alexia Bürger avoue qu’elle n’avait jamais collaboré auparavant, des femmes qui s’expriment en 15 langues couramment parlées dans la métropole,
À mon sens, Michel Tremblay, c’est le Pedro Almodóvar québécois. Il connaît si bien la sensibilité des femmes que j’ai le sentiment en lisant Les belles-soeurs de me rapprocher de mes racines.
J’y reconnais un peu de l’ironie, du grotesque, de l’absurde et du pathétique qui caractérisent » le théâtre d’Amérique du Sud.
XIMENA FERRER OLASO
du créole à l’arabe, du hongrois au tamoul, du yiddish à l’italien.
La metteure en scène semble ravie d’avoir été amenée à travailler autrement: «Ce projet m’a donné l’occasion d’élargir mes horizons, de sortir de mon réseau immédiat, mais ça m’a certainement demandé trois ou quatre fois plus de temps pour constituer la distribution, sans parler de la part de risque et d’inconnu avec laquelle j’ai accepté de composer. Est-ce que ça vaut le coup ? Tellement! Après avoir passé 1h30 avec chacune de ces femmes, je peux affirmer que c’est déjà une expérience extrêmement enrichissante. »
Pour certaines des comédiennes, qui se sont jadis fait dire qu’elles ne pourraient jamais jouer dans Les belles-soeurs, décrocher le rôle s’apparente à une douce revanche. Originaire d’Uruguay, depuis peu codirectrice de la compagnie Singulier Pluriel avec Julie Vincent, Ximena Ferrer Olaso ne semble pas du tout dépaysée. «Cette pièce en joual, totalement québécoise, je la comprends très bien, lance la comédienne qui incarne Thérèse Dubuc, celle qui est contrainte de s’occuper de sa bellemère vieillissante. C’est une langue directe, efficace, pas du tout prétentieuse. À mon sens, Michel Tremblay, c’est le Pedro Almodóvar québécois. Il connaît si bien la sensibilité des femmes que j’ai le sentiment en lisant Les belles-soeurs de me rapprocher de mes racines. J’y reconnais un peu de l’ironie, du grotesque, de l’absurde et du pathétique qui caractérisent le théâtre d’Amérique du Sud. Jouer ce texte, cet auteur, pour moi qui suis installée à Montréal depuis quatre ans, c’est un véritable privilège.»
Rapports d’exploitation
Selon Alexia Bürger, toutes les comédiennes associées au projet expriment une relation viscérale aux personnages: «Ce qui ressort assez clairement dans leurs discours, c’est la question des rapports d’exploitation. On retrouve ça dans le couple comme dans le milieu du travail, dans la société comme dans l’intimité. Cet aspect-là de la pièce n’a pas vieilli. Peutêtre même qu’il ne vieillira jamais.
Ce jeu de pouvoir, cette soif de domination et de consommation, cette logique de productivité, ce désir d’asphyxier l’autre, de le rabaisser pour mieux gravir les échelons… tout cela est plus actuel que jamais. »
Pour Ferrer Olaso, qui a vécu pendant quelques années en Argentine, où vient d’ailleurs d’être rejeté un projet de loi visant à légaliser l’avortement, le sentiment d’oppression qui règne dans la pièce n’est pas sans évoquer certaines tyrannies politiques: