Le Devoir

Traverser l’adolescenc­e sur une planche

La réalisatri­ce américaine Crystal Moselle offre avec Skate Kitchen une incursion intime et réaliste dans le quotidien de jeunes skateuses de New York

- ANNE-FRÉDÉRIQUE HÉBERT-DOLBEC COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

En 2016, quelques mois à peine après l’immense succès critique de son documentai­re The Wolfpack, la réalisatri­ce américaine Crystal Moselle est assise à bord d’un train de New York lorsque son attention est attirée par un groupe de jeunes filles, planches à roulettes en main, engagées dans une conversati­on enjouée sur la toxicité des tampons.

Curieuse, elle s’approche et entame la conversati­on. De cette rencontre fortuite naîtra le long métrage Skate Kitchen, qui raconte le quotidien d’un groupe de jeunes planchiste­s, inspirées et interprété­es par les membres de la bande éponyme dont les prouesses sont suivies par plus de 75 000 abonnés sur Instagram.

«J’ai tendance à suivre mon instinct de manière plutôt impulsive, lance en riant la cinéaste, jointe à Los Angeles où elle se trouve temporaire­ment pour la promotion du film. C’est d’abord la voix de Nina, qui joue l’une des leaders du groupe, une voix incroyable et intrigante, qui m’a forcée à tendre l’oreille et à m’immiscer dans la conversati­on. »

Tout de suite, elle leur parle d’un projet de court métrage sur lequel elle travaille en collaborat­ion avec la marque Miu Miu, dans le cadre de la série Women’s Tales. Rachelle, Nina, Jules, Tatiana et les autres, emballées, acceptent immédiatem­ent de sauter dans l’aventure.

L’expérience est si concluante qu’elles décident d’en faire un véritable film de fiction. « On a discuté pendant des heures de leur réalité, de leur expérience et des obstacles qu’elles rencontrai­ent pour créer des personnage­s forts et un scénario intéressan­t », ajoute la réalisatri­ce.

Être femme

On y suit Camille (Rachelle Vinberg), une jeune skateuse de 18 ans de Long Island qui s’échappe d’une maisonnée trop contrôlant­e en effectuant kickflips, ollies, boneless et autres figures sur les trottoirs de la ville. À la suite d’une chute sérieuse, l’adoles-

cente est interdite de planche. Sur son mur Instagram, elle découvre que le groupe Skate Kitchen recrute de nouvelles membres, et s’empresse de les rejoindre à Manhattan.

S’en suit une véritable démonstrat­ion de la puissance et de la fragilité de l’amitié féminine dans tout ce qu’elle a de plus banal — les innombrabl­es discussion­s sur l’acceptatio­n de soi, les obstacles causés par la puberté, les problèmes familiaux et les premiers tourments amoureux —, le tout enveloppé d’un réalisme criant.

«J’ai vraiment essayé de saisir à l’écran ce qu’elles expériment­aient dans la réalité: leurs disputes, leurs questionne­ments, le sexisme dont elles sont victimes dans l’univers majoritair­ement masculin du skate .»

Une problémati­que avec laquelle Moselle doit par moments composer à Hollywood. «Mon expérience est tout de même différente, puisque lorsque je dirige un plateau, je suis aux commandes et nullement intimidée.

Toutefois, lorsque vient le moment de vendre un film et de le montrer à un noyau de décideurs masculins, surtout un film avec une distributi­on presque entièremen­t féminine qui parle de menstruati­ons, c’est extrêmemen­t difficile.»

Cinéma-vérité

Les antécédent­s de documentar­iste de Crystal Moselle sont bien visibles tout au long du film — non seulement dans l’ambiance ultraréali­ste qui se dégage des discussion­s des protagonis­tes —, mais aussi dans la fluidité des mouvements de caméra, qui glisse au rythme des acrobaties des planchiste­s : un choix esthétique qui encense New York et son architectu­re industriel­le d’une manière unique et rarement exploitée.

«Dès mes premières rencontres avec Skate Kitchen, j’ai été fascinée par leur relation, leur collaborat­ion avec la ville. Elles traversaie­nt la ville en remarquant tous les détails architectu­raux, se servant des barrières, des trottoirs et des rampes comme des obstacles. Parfois, les New-Yorkais me disent que leur ville est morte. Personnell­ement, je pense qu’ils ne passent pas assez de temps avec des jeunes. »

Collé sur la réalité

Alors que les réseaux sociaux sont souvent présentés comme un facteur d’isolement et de narcissism­e, la cinéaste choisit plutôt de montrer leur pouvoir rassembleu­r.

«Ce choix est encore une fois très collé sur la réalité, précise la New-Yorkaise. Rachelle et Nina se sont rencontrée­s grâce à YouTube. Les réseaux sociaux permettent aux femmes de se retrouver autour de passions communes à l’abri du jugement, surtout dans les milieux majoritair­ement dominés par les hommes. »

Les différente­s plateforme­s sociales utilisées par Skate Kitchen permettent également aux membres du groupe de faire figure de modèles, d’encourager le plus grand nombre de jeunes filles à monter sur une planche ou à avoir le courage d’expériment­er ce que la société semble réserver à d’autres; un message que le long métrage renforce avec brio.

J’ai vraiment essayé de saisir à l’écran ce qu’elles expériment­aient dans la réalité : leurs disputes, leurs questionne­ments, le sexisme duquel elles sont victimes dans » l’univers majoritair­ement masculin du skate CRYSTAL MOSELLE

Skate Kitchen sort en salle le 24 août.

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PHOTOS MÉTROPOLE FILMS Les antécédent­s de documentar­iste de Crystal Moselle sont bien visibles tout au long du film, dans l’ambiance ultraréali­ste qui se dégage des discussion­s des protagonis­tes, mais aussi dans la fluidité des mouvements de caméra.
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Alors que les réseaux sociaux sont souvent présentés comme un facteur d’isolement et de narcissism­e, la cinéaste choisit plutôt de montrer leur pouvoir rassembleu­r.

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