Archives musicales : le bon côté de la disette
La publication de concerts historiques en CD a diminué en quantité, mais pas en qualité
Jadis pléthorique, la publication en CD de concerts des grands interprètes s’est effondrée avec le marché du disque. Mais ce qui nous arrive est désormais davantage sélectionné et mieux édité.
Il fut un temps, dans la première moitié des années 1990, où, entre les représentations d’opéras et les concerts d’archives de grands interprètes, les archives sonores éditées en CD sans grands soins techniques représentaient aisément un quart des parutions mensuelles. Tout cela a radicalement changé. Aussi, nous avons plongé avec délice parmi les publications des derniers mois pour en sélectionner quelques-unes.
Bayreuth
L’étiquette munichoise Orfeo exploite depuis deux décennies les archives de la Radio bavaroise, qui détient le très convoité trésor des diffusions du Festival de Bayreuth et de la Radio autrichienne ORF, qui retransmet les concerts du Festival de Salzbourg.
De Bayreuth, tout, ou presque, a été multiplement édité sur diverses étiquettes à partir de captations des retransmissions radiophoniques. Les parutions Orfeo, elles, ont pour source les bandes mères du transmetteur. Orfeo nous arrive coup sur coup avec deux documents majeurs illustrant le meilleur du Bayreuth du tournant des années 1960 sous la baguette d’une révélation alors fulgurante: Wolfgang Sawallisch. Ces parutions font suite à la publication, en 2014, dans un son jamais entendu auparavant, du justement légendaire Tannhäuser de 1961, un absolu de toute discographie wagnérienne.
Le premier titre est une surprise: Tristan et Isolde associant Birgit Nilsson et Wolfgang Windgassen en 1958. Nilsson, Windgassen, Sawallisch? Une affiche ultraconnue. Certes, mais il s’agissait des représentations de 1957.
Le millésime suivant, avec Erik Saedén (Kurwenal) et Josef Greindl (Marke) remplaçant Hotter et Van Mill, est encore mieux en engagement et, si c’était possible, en qualité vocale. Sawallisch est un peu cartésien si on le mesure à Karajan. Kleiber et Böhm, plus passionnés, mais c’est une édition «définitive» de ce Tristan à Bayreuth en 1958.
Dès 1959, Sawallisch s’attelle au Vaisseau fantôme, qu’il dirigera jusqu’en 1961. Là aussi la publication Orfeo est oeuvre de salubrité publique par rapport aux publications (Myto, Opera d’Oro) antérieures. Distribution légendaire ici aussi: George London (Hollandais), Josef Greindl (Daland), Leonie Rysanek (Senta), Fritz Uhl (Erik).
Salzbourg et perles symphoniques
À Salzbourg, ce sont deux récitals de piano qui attirent notre attention. Le 28 juillet 1970, Daniel Barenboim, 27 ans, donne un concert Beethoven avec les Sonates no 7 et no 21 (Waldstein) et une très dense 32e. Mais les intégrales de studio EMI et DG de Barenboïm sont si abordables que ce document est réservé aux fans de l’artiste.
Plus essentiel, un concert du 7 août 1965 d’Arturo Benedetti Michelangeli. Il n’y a que 40 minutes de musique et c’est en mono (excellente). Mais en 1965, le pianiste italien, qui avait interdit la retransmission de la seconde partie du récital, était à son apogée. Le CD réunit une chaconne de Bach-Busoni plus fulgurante que son enregistrement connu et une 3e Sonate de Beethoven (l’une de ses préférées) qui rappelle beaucoup la démarche cristalline de Friedrich Gulda à l’époque. Le piano n’est pas le mieux réglé du monde, hélas.
Au premier rang des parutions symphoniques, aux côtés de la fulgurante 6e Symphonie de Mahler de Kirill Kondrachine, que nous avons traité isolément, SWR Classic enrichit la discographie du chef tchèque Karel Ancerl avec la grande symphonie Asrael de Suk enregistrée en 1967 à Baden-Baden, qui compense glorieusement l’absence de cette oeuvre dans sa discographie officielle.
L’étiquette ICA documente un partenariat entre Mstislav Rostropovitch et Carlo Maria Giulini dès 1962 dans le concerto de Dvorák, bien plus spontané que celui de studio de 1977, et qui surtout comblera les admirateurs d’Herbert von Karajan avec un double album de concerts inédits de 1955 et 1956 avec le Philharmonia Orchestra dans les Symphonies no 35 et no 41 de Mozart, la Rapsodie espagnole de Ravel, la 4e Symphonie de Tchaïkovski et, cerise sur le gâteau, le 23e Concerto de Mozart avec Clara Haskil.
Birgit Nilsson
Le centenaire de la naissance de la légendaire soprano suédoise Birgit Nilsson, à l’honneur dans le Tristan de Sawallisch chez Orfeo, suscite une activité éditoriale très pertinente. Birgit Nilsson fut une chanteuse unique, d’une puissance vocale hors normes, aux aigus d’airain, ce qui en fit notamment une interprète à nulle autre pareille du rôle de Turandot dans l’opéra du même nom de Puccini et, évidemment, une cantatrice très recherchée pour les opéras de Strauss et Wagner. Decca a publié au printemps La Nilsson, coffret de l’intégrale de ses enregistrements studio chez Universal: 27 opéras en 79 CD.
Mais le meilleur, présentement
Dans la première moitié des années 1990, entre les représentations d’opéras et les concerts d’archives de grands interprètes, les archives sonores éditées en CD sans grands soins techniques représentaient aisément un quart des parutions mensuelles. Tout cela a radicalement changé.
en précommande chez les marchands sur Internet, est à venir le 7 septembre, avec un coffret Sony de 31 CD : The Great Live Recordings publié sous l’égide de la Fondation Birgit Nilsson de Stockholm.
Ce coffret représente à nos yeux un trésor particulier puisqu’il contient l’Elektra de Strauss capté à Expo 67 avec les forces de l’Opéra de Vienne sous la direction de Karl Böhm. Face à l’Elektra de Nilsson, la Clytemnestre de Regina Resnik et la Chrysothémis de Leonie Rysanek! Composée avec une vraie expertise, cette boîte qui, depuis trois semaines, fait notre bonheur et notre ivresse, comprend tous les grands rôles de Nilsson. La Turandot est celle du Met dirigée par Stokowski, la Walkyrie est la rencontre de 1969 au Met avec Karajan, la Salomé vient aussi du Met (Böhm, 1965), alors que le Fidelio a été glané à la RAI et c’est Bernstein qui dirige! Après un Château de Barbe Bleue avec Fricsay en 1953, le premier grand témoignage est l’Elsa du Lohengrin de 1954 à Bayreuth avec Jochum. L’ultime document est sa teinturière aux côtés du Barak de Fischer-Dieskau dans la Femme sans ombre, dirigé par Sawallisch 1976 à Munich.
Redondance pour les uns, délice pour les autres, le coffret ose des doublons avec deux Elektra (l’autre avec Böhm, aussi, mais au Met en 1971) et trois Tristan : Bayreuth 1957, Vienne 1967 et Orange 1973 (le très fameux, avec Vickers et le mistral). Tout cela est historique. Pour patienter avant l’arrivée du trésor, on ne peut que recommander le documentaire paru en DVD le 15 juin sur étiquette CMajor Birgit Nilsson. A League of her Own qui fourmille d’archives émouvantes.