Pourquoi lire les best-sellers ?
Coup de coeur des lectrices, le manuscrit du premier roman d’Hélène Vasquez, Je veux toucher les nuages, est publié par les Éditions Les Nouveaux Auteurs après avoir reçu le prix Femme actuelle 2018. La couverture représente une jeune fille blonde aux cheveux bouclés assise de dos sur une balançoire ; un paysage romantique et lumineux la berce. Roman d’été ou de train, me dis-je, juste ce qu’il faut pour relaxer et oublier la chaleur torride de ma ville natale.
Ne connaissant ni l’auteure, ni l’éditeur, ni le prix, je m’informe avant de commander le roman en ligne. Il y a deux ans, Hélène Vasquez n’avait rien écrit ni rien publié. Originaire de la Gironde, dans le sud-ouest de la France, elle soumet son premier manuscrit au concours Femme actuelle et se voit sélectionnée pour le Prix du coup de coeur des lectrices quelques mois plus tard. Sur le site de l’éditeur, on apprend que, depuis deux ans, Vasquez «n’a de cesse de noircir du papier pour laisser libre cours à son imagination».
On annonce également sur le site que 1055 romans ont été évalués par les lecteurs et que 179 ont été édités. Les textes évalués et édités sont publiés sur le site de l’éditeur. Les lecteurs inscrits évaluent les romans en ligne et leur octroient des points sur une échelle de dix. Certains lecteurs vedettes ont évalué plus de 200 manuscrits au cours des 11 dernières années. Le choix des lecteurs est ainsi mis en relief et célébré par Les Nouveaux Auteurs, alors que le privilège de la publication en format papier (15-20 titres seulement par an) n’est accordé qu’aux happy fews. Le prix Femme actuelle est décerné à des auteurs qui peinent à se faire publier dans les maisons d’édition traditionnelles dans le but de lancer comme des best-sellers les romans d’auteurs inconnus. Plus de 50 auteurs ont été révélés au cours des 11 dernières années grâce à ce prix.
Est-ce déjà-vu ?
Je veux toucher les nuages se lit effectivement comme un best-seller potentiel, sans attentes quant à l’apport esthétique et sans surprise quant à la trame narrative. Alice (31 ans) est psychothérapeute et tutrice de Lizon (6 ans). Louise, la mère de Lizon, meurt à la suite d’un cancer et revient hanter son amie et sa fille. Elle cherche à leur dévoiler un secret : Lizon a une soeur jumelle nommée Ju- lie. Celle-ci a été adoptée à sa naissance par Line (alias Diane), infirmière de Louise et voisine par coïncidence d’Alice depuis le déménagement de celle-ci dans une maison jumelle identique à celle de Diane. Line/Diane avait perdu son mari et sa fille (7 ans) dans un accident de voiture il y a plusieurs années; elle attend l’anniversaire de Julie (qu’elle nomme Rose) pour faire ressusciter sa fille défunte dans le corps de Julie/Rose. Diane finit par se suicider, les soeurs jumelles finissent par se retrouver, Alice finit par se réconcilier avec ses angoisses et l’esprit de Louise peut enfin se reposer.
Comme toute lectrice avisée, je lis le prologue et l’épilogue l’un à la suite de l’autre. Du coup, le secret des deux soeurs n’en est plus un, et la trame narrative perd de sa teneur. Il faut dire que le déjà-vu est un trait fondamental de ce type de roman ; l’horreur se renouvelle au fil des représentations et la peur se reconstruit sur les ruines de l’oubli. Ici, il s’agit surtout d’un déjà-vu d’inspiration cinématographique. Manifestations de l’esprit, visions angoissantes, rêves prémonitoires, fantômes errants, jeunes filles incarcérées, maisons abandonnées, greniers effrayants, desseins abominables, occultisme, spiritisme, ce roman est un dictionnaire des phénomènes paranormaux les plus exploités par le cinéma. L’auteure cite Les autres et Ouija qui auraient marqué Alice; alors que le roman nous rappelle la comédie fantastique Beetlejuice où le contact entre les humains et les fantômes est mis en avant sans être diabolisé et où les rêves des uns hantent les autres grâce à l’imperméabilité des frontières entre les morts et les vivants.
Quel type de pouvoir ?
J’ignore si le roman d’Hélène Vasquez est oui ou non un succès commercial et critique. Il est amusant et prévisible comme une série B américaine et retiendrait probablement l’attention des critiques (comme moi) pour des raisons intertextuelles plutôt que textuelles. Cependant, la mention «coup de coeur des lectrices» m’interpelle. Quand j’étais jeune, le goût attribué exclusivement aux femmes pour les comédies romantiques et le mélodrame m’agaçait au plus haut point. Probablement par féminisme égalitariste. Aujourd’hui, j’ajouterai le goût pour l’occultisme et le spiritisme en espérant qu’un jour nous parviendrons à désexualiser le lectorat. Cela dit, gardons-nous d’exiger de la littérature qu’elle soit innovatrice ou époustouflante; rendons ce respect au pouvoir qu’ont les lectrices à placer une nouvelle auteure sous l’oeil scrutateur du grand public.