Vivre en bonne compagnie avec les morts
Dans un récit touchant, Olivia de Lamberterie parle de son frère qui s’est donné la mort à Montréal en 2015
La fatigue du voyage en avion trouve désormais une résolution singulière pour Olivia de Lamberterie lorsqu’elle débarque à Montréal, la ville qui lui a volé son frère deux fois, raconte-t-elle dans Avec toutes mes sympathies (Stock). La première lorsqu’Alex — c’est son prénom — est venu y refaire sa vie, avec femme et enfants, autour d’un emploi dans le monde du jeu vidéo. La deuxième fois, le 14 octobre 2015, lorsqu’il a décidé de mettre fin à ses jours, emporté par une mélancolie qui lui était insoutenable. Il était dans la mi-quarantaine. « Quand j’arrive rue Boyer, la rue de mon frère, le fait de respirer l’air qu’il respirait me ressuscite », explique l’auteure, critique littéraire en France qui signe ici son premier bouquin. Le Devoir l’a rencontrée à Montréal au début de l’été lors d’un court passage pour présenter ce récit intime et fort attendu de cet automne littéraire.
«En même temps, c’est bizarre d’être dans cette ville, sa ville, sans mon frère. J’ai l’espérance un peu folle, chaque jour, de le croiser au bout de la rue. À Paris, il n’était jamais tous les jours avec moi, contrairement à ici, où nous passions toutes nos journées ensemble. La réalité de sa disparition, je la ressens donc plus violemment quand je suis à Montréal. »
Parler d’un livre qui n’aurait pas
Je ne crois pas à l’écriture thérapeutique, mais je pense qu’elle peut toutefois aider » à transfigurer le chagrin
OLIVIA DE LAMBERTERIE
dû exister. Voilà ce que fait depuis quelques minutes Olivia de Lamberterie, qui écrit sur les bouquins dans le magazine Elle et parle littérature dans l’émission matinale de France 2. «Ce livre n’aurait jamais dû exister, parce que mon frère n’aurait jamais dû mourir », écrit-elle en guise d’introduction de ce texte sensible qui, en se promenant entre deux continents, entre deux époques, en sondant les souvenirs de sa famille et en remontant le fil d’un drame, cherche à répondre à cette question cruciale et universelle: «Comment fait-on pour vivre en bonne compagnie avec les morts, demande-t-elle, sans qu’ils vous tirent vers le bas, mais vous amènent vers le haut. En fait, avec ce livre, j’ai surtout voulu inventer une manière joyeuse d’être triste. »
L’urgence d’écrire
L’écriture s’est imposée d’elle-même, à l’été 2015, quelques mois avant le suicide d’Alex et au lendemain d’un voyage fait dans l’urgence à Montréal pour prendre soin de son frère qu’un épisode de dépression extrême avait conduit à l’hôpital.
«J’ai commencé à écrire avant sa mort, puis tout de suite après. Je voulais me souvenir avant que la mémoire ne fasse son travail de tri salutaire. Je ne crois pas à l’écriture thérapeutique, mais je pense qu’elle peut toutefois aider à transfigurer le chagrin. Écrire, c’est ne pas être seul dans sa nuit, m’a dit un jour Philippe Lançon, que j’ai rencontré pour la sortie de son dernier livre, Le lambeau. Dans mon cas, ç’a été une façon de ne pas devenir la fille la plus sinistre du monde.»
Entre le souvenir des moments tendres passés avec son frère, ceux à témoigner, impuissante, de son inéluctable chute dans la spirale délétère du taedium vitae, entre le récit de ses voyages à Montréal — où elle cherchait toutes les excuses du monde et surtout les sujets littéraires locaux pour justifier un déplacement auprès de sa rédaction — et les évocations de l’histoire de sa famille, une famille marquée par le suicide de quelques hommes, Olivia de Lamberterie livre une épopée qui va de la mort à la vie, sans jamais sombrer dans le larmoyant.
«Je ne voulais pas écrire le témoignage de quelqu’un qui expose son chagrin, dit-elle, mais plutôt façonner un objet littéraire beau qui rend hommage à la vie, qui raconte mon frère, dans sa joie de vivre et dans sa fantaisie. Je ne cherche pas à savoir pourquoi il a fait ce qu’il a fait, je me demande plutôt où il est. »
En parfaite maîtrise de ses émotions, y compris lorsque les questions viennent caresser ce passé où Alex s’est enlevé la vie, Olivia de Lamberterie juge que son livre est intime tout en restant pudique. «Les livres ne sont pas des endroits pour dévoiler des secrets.» C’est aussi un livre qui, au final, réussit sans doute plus à la raconter, elle, dans sa tristesse et dans sa reconstruction.
«La mort d’Alex a été un miroir sur ma propre existence, dit-elle. Le suicide fait partie de ma famille. En me demandant si la mélancolie y est héréditaire, je veux aussi rompre avec la malédiction et protéger sans doute mes trois fils. Camus disait: “Ne pas nommer les choses ajoute aux malheurs du monde.” »
Une invitation de l’au-delà
Un exercice de mise en mots qu’Alex avait paradoxalement encouragé sa soeur à réaliser alors qu’il était encore vivant. «Après sa mort, j’ai retrouvé sur Facebook un message dont je ne me souvenais plus et dans lequel il me disait d’écrire mon livre. Pour moi, cette invitation venait de l’au-delà. Je n’ai jamais vraiment eu envie d’écrire un livre. Je me suis toujours trouvée du bon côté de la clôture, comme critique. Mais son message a été un déclencheur, comme un cadeau qu’il m’a fait en me forçant à me confronter pour la première fois à la littérature. »
Une confrontation, dit-elle, qui l’a exposée à la colère, à la sidération, à l’incompréhension, et dont elle est ressortie avec le sentiment d’avoir été écrasée par un trois-tonnes, mais qu’elle regarde désormais comme une petite contribution à la lutte contre la mort avec des mots.
Parler d’un livre qui n’aurait pas dû exister. Voilà ce que fait avec nous Olivia de Lamberterie, qui écrit sur les bouquins dans le magazine Elle et parle littérature dans l’émission matinale de France 2.