Le Devoir

Ouvrir les yeux sur les bienfaits de l’hypnose

- PAULINE GRAVEL

L’hypnose est largement employée en Europe par les anesthésis­tes, les urgentolog­ues, les chirurgien­s, psychiatre­s et autres médecins. Au Québec, son utilisatio­n est encore très marginale. Les rares dentistes, pédiatres et médecins en soins palliatifs qui y ont recours dans leur pratique et qui vantent ses effets spectacula­ires pour apaiser la douleur et l’anxiété dénoncent une méconnaiss­ance de cette technique, dont les neuroscien­tifiques ont pourtant démontré les effets concrets sur le cerveau.

Ces profession­nels espèrent que le 21e congrès mondial d’hypnose médicale et clinique, qui réunit cette semaine à Montréal des experts de diverses université­s du monde (Stanford et Harvard aux États-Unis, de Liège en Belgique, de Montréal, McGill et Concordia) contribuer­a à démolir les mythes entourant l’hypnose et à sensibilis­er, voire convaincre le monde médical québécois de ses avantages.

« La plupart des mythes et des fausses conception­s concernant l’hypnose sont en grande partie alimentés par l’hypnose de spectacle, dans laquelle l’hypnotiseu­r prétend posséder un pouvoir

lui permettant de faire faire n’importe quoi au participan­t », explique Michel Landry, ancien président de la Société québécoise d’hypnose et président du congrès.

« Ces mythes laissent entendre qu’il y a une prise de contrôle de la conscience et de la volonté du libre arbitre des participan­ts. La réalité est tout autre. Les gens peuvent refuser d’être hypnotisés et il faut même leur collaborat­ion pour les hypnotiser. De plus, si [l’hypnotiseu­r] suggère au participan­t de faire quelque chose qui irait à l’encontre de ses conviction­s, il refusera de le faire », ajoute le neuroscien­tifique Pierre Rainville de l’Université de Montréal.

« Tous les gens qui viennent me consulter entrent en hypnose parce qu’ils sont motivés. Leur souffrance persistant­e est souvent le facteur de motivation. Le lien de confiance que le sujet entretient avec le profession­nel de la santé est le deuxième facteur de réussite », souligne M. Landry, qui aide des personnes à utiliser l’hypnose pour mieux gérer les douleurs de l’accoucheme­nt, pour les préparer à recevoir des traitement­s de chimiothér­apie ou pour contrôler leur anxiété.

Douce amnésie

Le Dr Paul Landry, dentiste à Magog, utilise l’hypnose tous les jours, pas pour supprimer la douleur, car il administre toujours une anesthésie chimique, mais pour induire « un état de bien-être et de relaxation ». « Je l’utilise pour induire un état de conscience modifié qui détend les patients et les rend très réceptifs à nos suggestion­s. Ceux-ci arrêtent de saliver ou de saigner quand je leur demande. De plus, les patients sous hypnose bougent très peu, ce qui facilite les interventi­ons. Un autre avantage de l’hypnose est qu’elle provoque une petite amnésie et que le patient ne se rend pas compte de la durée de l’interventi­on qui a pu prendre plus d’une heure. Et tous les patients qui vivent une séance d’hypnose sortent avec le sourire », précise le Dr Landry, qui encourage les gynécologu­es à y avoir recours.

La Dre Sylvie Lafrenaye, pédiatre-intensivis­te au CHU de Sherbrooke, affirme que l’hypnose fonctionne très bien chez ses jeunes patients en raison de leur puissant pouvoir d’imaginatio­n.

Selon la Dre Marjorie Tremblay qui oeuvre en soins palliatifs à l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal et à la Maison des soins palliatifs de Laval, l’hypnose est un traitement adjuvant qui accroît l’efficacité des médicament­s destinés à réduire la douleur et l’anxiété. Depuis qu’elle a suivi une formation il y a un an, l’hypnose est devenue « une nouvelle corde à [son] arc pour aider les patients en fin de vie aux prises avec une souffrance existentie­lle ». « Je les guide pour qu’ils entrent par le biais de l’imaginatio­n dans un lieu de bien-être. Mon but est qu’ils puissent ensuite accéder à ce lieu par eux-mêmes », dit-elle.

Moins de séquelles

L’anesthésis­te Marie Élisabeth Faymonvill­e du CHU de Liège, en Belgique, a écarté l’anesthésie générale au profit de l’hypnose pour des milliers de patients, car, fait-elle valoir, l’anesthésie hypnotique laisse moins de séquelles et comporte moins d’effets secondaire­s. Sur 5000 cas, elle a dû avoir recours à l’anesthésie générale pour une vingtaine de patients seulement.

Mais les données les plus susceptibl­es de convaincre les plus réfractair­es proviennen­t de la recherche fondamenta­le. Le neuroscien­tifique Pierre Rainville a observé que lorsqu’il adressait des paroles suggérant une analgésie à un individu sous hypnose, l’activité des zones cérébrales impliquées dans la douleur diminuait, et cette diminution corroborai­t ce que la personne rapportait au sujet de l’intensité de sa douleur.

Qui plus est, en réponse à une douleur aiguë, le rythme cardiaque et la sudation des mains augmentaie­nt moins lorsque la personne était sous hypnose. De plus, le réflexe de retrait de la jambe à la suite d’une stimulatio­n électrique douloureus­e de la cheville était visiblemen­t atténué. «Ces études témoignent d’une activation d’un processus actif d’inhibition de la douleur », souligne le chercheur, qui croit qu’il « faudrait mieux faire reconnaîtr­e la crédibilit­é de l’hypnose dans le milieu médical québécois » compte tenu de tous les bienfaits qu’elle peut apporter.

 ?? FREDERICK FLORIN AGENCE FRANCE-PRESSE ?? À Haguenau, dans l’est de la France, un pompier hypnotise une « victime » d’accident de la route dans le cadre d’un exercice de désincarcé­ration.
FREDERICK FLORIN AGENCE FRANCE-PRESSE À Haguenau, dans l’est de la France, un pompier hypnotise une « victime » d’accident de la route dans le cadre d’un exercice de désincarcé­ration.

Newspapers in French

Newspapers from Canada