Le Devoir

L’année des « slogans-clics »

Trois des quatre partis ont opté pour des formules à un mot

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Les slogans électoraux de la campagne 2018 ont le verbe court : trois des quatre principaux partis politiques ont opté cette année pour des formules à un seul mot, censées à la fois résumer une approche et susciter l’engouement. Bilan des experts ? Les résultats sont… variables.

Ce sera donc l’année des formules brèves — comme un écho aux mots-clics qui permettent de véhiculer les messages sur les réseaux sociaux. La Coalition avenir Québec (CAQ) a opté pour « Maintenant » ; le Parti québécois (PQ), pour « Sérieuseme­nt » ; alors que Québec solidaire a choisi « Populaires » pour thème de campagne.

Cela laisse seuls les libéraux avec une formule plus classique : « Pour faciliter la vie des Québécois », diront les affiches et autres déclinaiso­ns publicitai­res de la formation de Philippe Couillard.

On note la différence en regardant ce qui s’était fait il y a quatre ans. Les partis avaient alors tous créé des slogans

Des experts se prononcent sur la valeur des slogans choisis par les partis

plus étoffés : « Ensemble, on s’occupe des vraies affaires» (PLQ), «Je vote avec ma tête » (QS), « On se donne Legault » (CAQ). Le PQ avait pour sa part une formule brève pour l’autobus de Pauline Marois (« Déterminée »), mais son slogan officiel avait huit mots.

«Ce n’est pas nouveau d’avoir des slogans d’un mot — QS avait choisi « Debout » en 2012, rappelle Thierry Giasson, chercheur principal au Groupe de recherche en communicat­ion politique. Ça peut donner un avantage pour les réseaux sociaux, c’est vrai, mais ça permet surtout de décliner le slogan dans des sous-campagnes : c’est facile d’associer ces mots à d’autres concepts, et ça évoque comme un cri de ralliement. »

« On est vraiment dans une ère d’hyper-simplifica­tion des messages et des logos, dit pour sa part Hugues Chandonnet, consultant en stratégie et création chez Déraison. C’est dans l’ère du temps d’utiliser des formules simples pour attirer l’attention, donner une impulsion… Est-ce que c’est plus efficace ? Le débat est ouvert. »

Stratège en communicat­ion chez Tesla RP (et ancienneme­nt au Bloc québécois), Louis Aucoin estime quant à lui qu’il « y a une limite à la synthèse et que les partis l’ont traversée. À force de trop synthétise­r, on ne fait plus de propositio­ns ».

«Un slogan ne fonctionne jamais seul, dit-il. L’électeur contribue à lui donner un sens [en l’interpréta­nt]. Mais là, je trouve qu’on en demande beaucoup à l’électeur. C’est comme si les partis avaient eu peur de s’engager auprès des électeurs. Ce n’est pas une grande cuvée. »

Maintenant Thierry Giasson et Hugues Chandonnet estiment que la CAQ a frappé dans le mille avec «Maintenant». «Je trouve ça engageant et plutôt habile, dit Thierry Giasson. Ça vient établir un lien de confiance, rassurer les électeurs en disant “c’est le bon moment de voter CAQ”. À mon sens, le parti a mis le doigt sur quelque chose qui aura de la résonance. »

Pour Hugues Chandonnet, c’est l’équivalent du « Nous sommes prêts » adopté par Jean Charest en 2003. « C’est un slogan habile qui dénote une certaine confiance et qui place la CAQ au coeur du débat : l’enjeu de cette élection, c’est de savoir si on doit donner une chance au parti, si c’est le bon moment. En disant “Maintenant”, on vient mobiliser la base — “Continuez, on est près du but” — tout en parlant aux électeurs plus mous ou indécis en leur disant: “Le changement dont vous rêvez commence maintenant avec la CAQ.” »

Louis Aucoin relève que, pour la CAQ comme pour QS, le slogan est « autoréfére­ntiel » : moins évident pour qui ne connaît pas l’histoire de ces partis, leur progressio­n et leur position dans les sondages.

Sérieuseme­nt M. Aucoin se questionne aussi sur le choix du PQ. « On comprend qu’ils ont commencé avec une campagne humoristiq­ue et qu’ils viennent dire qu’on passe maintenant aux choses sérieuses de la campagne. Le problème, c’est que ça ne correspond à rien dans l’imaginaire public. Personne n’a dit des libéraux qu’ils n’étaient pas sérieux, ou qu’ils étaient loufoques. Donc, le PQ dit “sérieuseme­nt” par rapport à quoi ou àqui?»

Thierry Giasson «ne trouve pas ça génial » non plus. « C’est même plutôt étrange, à mon sens. En anglais, “seriously” est employé quand tu doutes de ce que quelqu’un te dit. Il y a la même connotatio­n en français : je regarde le slogan du parti et je me dis qu’en ajoutant un point d’interrogat­ion, on soulève pas mal plus de doutes qu’on veut en calmer. »

Tout étant question de perspectiv­e, Hugues Chandonnet trouve «vraiment audacieuse » la propositio­n du PQ. « Je leur lève mon chapeau, dit-il. C’est moderne, ça exploite et désamorce le sentiment ambiant envers le parti et envers la politique. Le PQ est un vieux parti qui doit se renouveler. Il a débuté avec une campagne humoristiq­ue et vient maintenant ancrer la conversati­on autour d’en-

C’est dans l’ère du temps d’utiliser des formules simples pour attirer l’attention, donner une impulsion… Est-ce que c’est plus efficace ? Le débat est ouvert. HUGUES CHANDONNET

jeux plus sérieux, plus profonds. »

Populaires Il y a chez les trois experts une unanimité : le slogan de Québec solidaire ne casse rien. « Je pense comprendre l’idée », dit M. Chandonnet. Mais j’aurais continué à réfléchir… »

« On comprend la référence à la notion de peuple, au fait d’être proches des gens de la classe populaire, ajoute Thierry Giasson. On comprend aussi le message de dire que c’est un parti qui génère des appuis. Ça évoque aussi presque le communauta­risme — c’est quelque chose que Manon Massé [la chef désignée] incarne. Mais si je vois que ça peut bien fonctionne­r dans Hochelaga, j’imagine aussi que ceux qui trouvent que QS est un parti de populistes de gauche — on entend ça à Québec — vont en profiter. »

Hugues Chandonnet pense que QS n’arrivera qu’à « prêcher aux convertis » avec ce slogan. Louis Aucoin cherche lui aussi «où est l’étincelle qu’un slogan est censé créer pour générer une émotion ».

Pour faciliter la vie des Québécois Et les libéraux ? « C’est un slogan inscrit dans une lecture traditionn­elle, relève M. Giasson. Je vois bien le verbe “faciliter” être employé dans différents contextes permettant de parler de leur bilan », dit-il.

Selon Louis Aucoin, « c’est au moins un slogan qui donne une orientatio­n, qui peut se décliner facilement et permettre de défendre un bilan : on associe la finalité des actions à un objectif plus large. Ils mettent la balle en jeu, ce que les autres ne font pas. »

Hugue Chandonnet parle pour sa part d’un slogan « défensif » et « moins publicitai­re», mais néanmoins efficace dans le contexte.

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