Le Devoir

Sur le multicultu­ralisme

- FRANCINE PELLETIER fpelletier@ledevoir.com Sur Twitter : @fpelletier­1

«Monsieur Trudeau, êtes-vous tolérant, vous, envers les Québécois de souche ? ! » Après Maxime Bernier, c’était au tour d’une certaine Diane Blain, lors d’un rassemblem­ent en Montérégie, d’accuser le chef libéral de « multicultu­ralisme extrême », c’est-à-dire d’ouvrir les bras aux « immigrants illégaux » bien avant les Québécois eux-mêmes. Bien que la querelle opposant le provincial au fédéral sur cette question date d’un demi-siècle, elle est particuliè­rement emportée par les temps qui courent. L’apparition de groupes identitair­es, dont Mme Blain serait sympathisa­nte, ou d’électrons libres comme M. Bernier, n’est pas la seule raison de cette véhémence.

Le multicultu­ralisme est une réalité aujourd’hui alors qu’il était tout juste une stratégie politique lorsque Trudeau père introduisi­t, en 1971, la notion d’un pays « sans culture dominante ». À l’époque, le multicultu­ralisme est essentiell­ement symbolique, une façon de mieux faire passer le bilinguism­e comme politique officielle (et, bien sûr, de contrer les ardeurs indépendan­tistes) en reconnaiss­ant la « contributi­on de divers groupes ethniques ». Mais peu de Canadiens s’y reconnaiss­ent. On mettra plusieurs décennies avant d’y voir un véritable miroir de la réalité canadienne ou, encore, un objet de fierté.

Aujourd’hui, le multicultu­ralisme est devenu l’identité canadienne par excellence, et tout le monde, à commencer par Trudeau fils, le défend avec une énergie toujours renouvelée. « Il n’y a pas de place au Canada pour l’intoléranc­e ! », martela le premier ministre jeudi dernier. Un discours qui lui vaut les applaudiss­ements non seulement de ses partisans, mais aussi de la communauté internatio­nale en général. Il faut admettre que l’expérience canadienne a bien marché. Le Canada est constammen­t parmi les pays qui réussissen­t le mieux l’intégratio­n des nouveaux arrivants, en plus d’être celui qui reçoit le plus d’immigrants au monde. Cela dit, le nouveau visage du Canada, tel qu’il est incarné par Justin Trudeau, n’est pas sans faille. Si sa compassion envers les réfugiés et les immigrants est tout à son honneur — il suffit d’entendre les adeptes de l’exclusion cracher leur amertume pour s’en convaincre —, il y a un prix à payer à ne pas avoir « d’identité fixe » ou de « courant dominant », pour reprendre les termes utilisés par Trudeau lui-même. À tant vouloir défendre les droits de tout un chacun, il y a une vue d’ensemble, un souci de la collectivi­té, qui finit par se perdre. Un exemple ? Le déboulonna­ge de la statue de John A. Macdonald à Victoria, récemment, sans qu’aucun politicien, encore moins le gouverneme­nt fédéral, en dise un traître mot.

Macdonald est un homme bourré de défauts, certes, et, oui, un des instigateu­rs des pensionnat­s autochtone­s. Père de la Confédérat­ion, il rêvait de relier nos vastes arpents de neige par chemin de fer afin de faciliter la colonisati­on de l’Ouest. Sa décision de vider le territoire d’Autochtone­s afin de mieux réaliser sa mission est odieuse, bien sûr, bien que cela ait été une idée répandue à l’époque. On peut très bien comprendre que les communauté­s autochtone­s voient le patriarche du pays comme un bourreau, mais il s’avère qu’il demeure aussi un héros. Comme dit le Globe and Mail,

« même si nous éliminions toutes les effigies de [Macdonald], si nous effacions son nom de toutes les écoles et de toutes les autoroutes, le Canada serait toujours là comme un monument à lui ». Bref, le problème du multicultu­ralisme aujourd’hui ne consiste pas tant en sa supposée trahison du Québec qu’en son incapacité de défendre le Canada lui-même. De la même façon que le souci québécois de préserver la langue et la culture françaises, qui sont des droits majoritair­es, nous rend parfois insensible­s aux droits individuel­s, la préoccupat­ion de plus en plus tatillonne du gouverneme­nt fédéral pour les droits minoritair­es le rend parfois insensible à la majorité. À chacun ses ornières, si l’on veut. D’un côté, la peur de « disparaîtr­e » qui, trop souvent, ouvre la voie à l’exclusion. De l’autre, la rectitude politique, qui laisse libre cours au révisionni­sme et à la négation de l’histoire. Après la « tyrannie de la majorité » que redoutait tant Alexis de Tocquevill­e, voici donc celle de la minorité. Si la première est effectivem­ent beaucoup plus inquiétant­e, la réalité ne se trouve pas moins tronquée dans un cas comme dans l’autre.

Au Québec comme au Canada, il nous faudrait tous, en fait, avoir un peu moins peur. Moins peur de l’Autre, au Québec, et moins peur de Soi, d’une identité qui lui soit propre, au Canada. C’était une aberration en 1971 de prétendre que ce pays était « sans culture dominante » et ce l’est tout autant aujourd’hui.

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