Chacun cherche son chef
La campagne électorale s’amorce pour plusieurs candidats après une séance de « speed dating » politique. Après avoir négocié son entrée en politique auprès du PQ, de la CAQ, Gertrude Bourdon sautera dans la mêlée aux côtés du chef libéral, Philippe Couillard, vendredi, tâchant d’arracher l’étiquette d’opportuniste que lui ont collée ses nouveaux adversaires politiques.
La candidate vedette du PLQ est « devenue le symbole de l’indécence politique, du vide des convictions », a lancé sans retenue le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, jeudi. «La semaine dernière, elle était avec un parti qui prétend être contre la réforme Barrette. Cette semaine, elle est avec un parti qui est content de la réforme Barrette. Non, mais, c’est pas sérieux », a-t-il ajouté.
M. Lisée a fait cette déclaration jeudi, au premier jour de la campagne électorale.
Pourtant, elle n’est que la dernière en date à avoir «flirté» avec plus d’une formation politique avant de s’afficher publiquement avec son nouveau parti. La plupart d’entre eux sont passés du PLQ à la CAQ : Geneviève Guilbault, Svetlana Solomykina, Anna Klisko, Denis Tardif. Enrico Ciccone a fait le chemin inverse, passant de la CAQ au PLQ. Vincent Marissal a approché le Parti libéral du Canada avant de s’établir à Québec solidaire.
Gertrude Bourdon, elle, a butiné du côté du PQ, puis de la CAQ avant de se poser au PLQ. «C’est à elle de nous expliquer pourquoi elle accepte que les médecins spécialistes gagnent plus que ceux de l’Ontario », a lancé le chef de la CAQ, François Legault, jeudi.
Elle a renoncé jeudi à son poste de présidente-directrice générale du Centre hospitalier universitaire de Québec Université Laval pour briguer les suffrages sous la bannière du PLQ dans la circonscription de Jean-Lesage.
Selon une source bien informée dans le personnel hospitalier du CHU, Mme Bourdon est une patronne « assez accessible », « assez proche de ses employés ». Or, son choix de porter les couleurs du Parti libéral, dont les réformes ont laissé des traces, a été jugé « décevant », tout comme le « magasinage » auquel elle semble s’être prêtée.
Le Parti québécois a aussi révélé avoir approché Gertrude Bourdon il y a quelques mois pour qu’elle succède à la députée sortante de Taschereau, Agnès Maltais. « Mon parti, c’est le PQ. Je ne me présenterai jamais pour la CAQ », a déclaré Gertrude Bourdon, selon nos informations.
Le candidat péquiste Marc Bourcier s’est moqué des candidats qui passent de la CAQ au PLQ et vice versa. « Même Jean Charest est devenu cynique, c’est pas des farces ! »
L’ex-chef du Parti progressisteconservateur (1993-1998) et du PLQ (1998-2012) s’étonnait, dans une entrevue radio lundi, de voir des personnes négocier une éventuelle candidature aux prochaines élections générales avec plus d’un parti politique. Du « magasinage », selon lui. « C’est comme si tout était interchangeable », a-t-il affirmé, regrettant que les « principes », les « valeurs » et les « convictions » ne poussent plus naturellement un individu dans une formation politique.
La seule formation politique qui n’a pas été lorgnée par Mme Bourdon est Québec solidaire. L’aspirante première ministre Manon Massé a assuré lors du lancement de la campagne de QS ne jamais avoir été en contact avec la future candidate libérale.
La politologue Catherine Côté trouve « assez spécial » de voir un grand nombre de personnes « hésiter » avant de choisir leur camp. « Et le recrutement se fait de tous bords. On ne voit pas ça si souvent. Le phénomène s’observe depuis quelques élections avec une ampleur encore plus grande cette foisci », a-t-elle souligné dans un entretien sur les enjeux et caractéristiques généraux de l’élection. « Les candidats veulent changer les choses par le biais de la politique, mais ils veulent s’assurer d’être avec une équipe gagnante. Alors, ils cherchent en se demandant si le gagnant sera libéral ou caquiste. Pendant ce temps, le PQ recrute des gens qui ne se posent pas du tout de question sur leur allégeance puisque, dans leur tête, cette option est bien définie », poursuit la professeure à l’Université de Sherbrooke.
Surtout pas « opportuniste »
Le chef du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard, a pris la défense de Gertrude Bourdon lors d’une entrevue radio en Mauricie. « Si elle suivait les sondages, si elle était opportuniste, estce qu’elle serait allée au Parti libéral du Québec? Non, elle a décidé de venir avec nous parce qu’on reflète ses valeurs », a-t-il affirmé.
Mme Bourdon n’a pas posé de conditions à son implication politique au sein du PLQ, a soutenu M. Couillard. Les « très, très bonnes conversations » entre la gestionnaire et lui sont demeurées « sur le plan des principes et des valeurs », a-t-il indiqué jeudi.
Le chef du PLQ est disposé à accélérer la croissance des dépenses en santé, une des conditions posées par Mme Bourdon à la Coalition avenir Québec. « On a de nouvelles marges de manoeuvre. Il est possible qu’elles [les cibles de croissance] bougent un tout petit peu », a-t-il indiqué. « On va toujours assurer le bon financement de la santé, mais, encore plus important que ça, un financement stable et prévisible », a-t-il poursuivi.
Gaétan Barrette s’effacera-t-il du ministère de la Santé au profit de Gertrude Bourdon ? « Pour l’instant, Gaétan est un membre très, très actif et énergique de notre équipe», a dit M. Couillard avant de saluer la « qualité de son bilan ».
M. Couillard dit s’être assuré que sa recrue est attachée, comme lui, aux huit valeurs du PLQ inscrites par les exchefs Claude Ryan (les sept premières) et Jean Charest (la huitième) : les « libertés individuelles », l’« identification au Québec », le « développement économique », la « justice sociale », le « respect de la société civile », l’« attachement à la démocratie », l’« appartenance canadienne » ainsi que l’« équité intergénérationnelle ».
Enfin, il a dit à la presse n’avoir aucun doute sur l’allégeance à la fédération canadienne de sa candidate vedette non déclarée. Pour preuve, il a pointé l’insigne d’officier de l’Ordre du Canada que Mme Bourdon arbore depuis le 11 juillet dernier. Pourtant, Jacques Godbout, Dominic Champagne, Guy Rocher et d’autres indépendantistes québécois sont membres de l’Ordre du Canada.
Les candidats veulent changer les choses par le biais de la politique, mais ils veulent s’assurer d’être avec une équipe gagnante. Alors, ils cherchent en se demandant si le gagnant sera libéral ou caquiste. Pendant ce temps, le PQ recrute des gens qui ne se posent pas du tout de question sur leur allégeance puisque, dans leur tête, cette option est bien définie. CATHERINE CÔTÉ