Le Devoir

Pour une syndicalis­ation en restaurati­on

- Guillaume Laplante-Anfossi

Suiteur, Laurie Raphaël Montréal ; président d’unité, Syndicat des Métallos, section locale 9400

La gastronomi­e montréalai­se perdra le 30 septembre 2018 l’une de ses meilleures adresses. Les propriétai­res Daniel Vézina et Suzanne Gagnon ont fait l’annonce le 19 juin dernier de la fermeture du Laurie Raphaël Montréal, sis dans l’hôtel Le Germain, rue Mansfield. Le restaurant, qui mettait en valeur les produits québécois à un haut degré de raffinemen­t et d’authentici­té depuis 11 ans, abritait également depuis un peu plus d’un an une initiative originale et prometteus­e : un syndicat.

Bien que les grands syndicats soient présents en hôtellerie depuis très longtemps, la restaurati­on privée, et en particulie­r la haute gastronomi­e, n’a jamais été très portée vers les regroupeme­nts de travailleu­rs. Nous, les employés du Laurie Raphaël, avons obtenu notre accréditat­ion syndicale en avril 2017, la première (on me corrigera !) au Québec en haute gastronomi­e privée — par cette expression, j’entends que nous ne

sommes pas employés par l’hôtel. Nous sommes toujours en attente de notre première convention collective, qui est actuelleme­nt en processus d’arbitrage.

Les problèmes qui grèvent le milieu de la restaurati­on au Québec sont nombreux et commencent à être documentés. Les publicatio­ns comme « Le côté sombre de la cuisine » (La Presse, 18 novembre 2017) ou le roman Le plongeur de Stéphane Larue (Le Quartanier, 2016) ont contribué à les faire connaître du grand public. Des cuisiniers qui font 60, 70, 80 heures et qui sont payés «à la semaine», c’est-à-dire 40 heures. Des quarts de travail de 8, 10, 12 heures sans pauses. Un très fort taux de roulement des employés, des renvois arbitraire­s. Des injustices liées au non-respect de l’ancienneté. Des patrons qui pigent dans les pourboires des employés. De la violence psychologi­que et parfois même physique.

Comment se surprendre que dans ces conditions apparaisse­nt des problèmes de drogue et d’alcool? Même les serveurs, que l’on présente souvent comme les « mieux nantis » en restaurati­on, font face à une grande précarité d’emploi et à l’absence presque totale d’avantages sociaux. À l’instar de leurs collègues en cuisine, plusieurs cumulent deux, parfois trois emplois simultaném­ent… Dans ce contexte, trop d’employés sont laissés à euxmêmes et font face à une impasse.

De la peur

D’un côté, des conditions de travail déplorable­s et de l’autre, un employeur qu’ils n’osent pas affronter de peur de nuire à leur carrière en restaurati­on (un petit monde !). Trop de cuisiniers et de serveurs n’osent pas faire appel à la CNESST pour faire respecter leurs droits — que ce soit par peur ou par manque de connaissan­ces ou de ressources juridiques. Trop d’employés qui protestent subissent des représaill­es et endurent des conditions de travail difficiles « parce que c’est comme ça que ça marche ». Lorsqu’ils ne se sentent pas bien dans un restaurant, ou lorsqu’ils n’en peuvent plus, ils préfèrent en général démissionn­er et aller travailler ailleurs plutôt que de rester et de tenter de changer les choses…

Or, il existe un outil puissant au Québec par lequel des employés peuvent unir leurs forces pour défendre leurs intérêts collective­ment : la syndicalis­ation. Obtenir une accréditat­ion syndicale dans un restaurant, c’est d’abord forcer l’employeur à faire affaire, par l’entremise des représenta­nts, avec l’ensemble de ses employés plutôt qu’avec chacun individuel­lement. C’est le forcer à traiter tout le monde avec respect. C’est mettre fin au chacun pour soi, au « chacun négocie son salaire et ses conditions ». C’est mettre fin aux injustices et aux passe-droits. C’est instaurer, à l’aide d’une convention collective, un traitement équitable pour chaque équipe de travail et un recours en cas de contravent­ion (la fameuse procédure de grief ). C’est aussi contrer les représaill­es : l’employeur doit passer par le syndicat et ne peut plus s’attaquer à chacun individuel­lement. Enfin, la force collective est quantifiab­le : alors qu’individuel­lement, par exemple, aucun des employés du restaurant ne serait en mesure de faire appel à un avocat, le paiement des cotisation­s syndicales (proportion­nelles aux heures travaillée­s) permet à l’ensemble des employés d’accéder à cette ressource. Une différence considérab­le !

Certains ont déjà décidé de former un syndicat dans leur restaurant. C’est le cas des employés du restaurant Frite Alors! de la rue Rachel et de ceux du Cavalier Maxim dans le Vieux-Port. Les employés du restaurant Aux vivres, dans le Mile-End, viennent quant à eux de signer leur première convention collective après un an de négociatio­ns et un mandat de grève. Il est d’ailleurs possible de trouver le texte de leur convention en accès libre sur la page Facebook du « Syndicat des travailleu­rs et travailleu­ses d’Aux vivres – CSN ». Un vent nouveau souffle sur la restaurati­on; il est grand temps de lever les voiles !

Les problèmes qui grèvent le milieu de la restaurati­on au Québec sont nombreux et commencent à être documentés

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