Le Devoir

Pesticides : biocide ou plan de sortie ?

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Michel Paradis

Ex-sous-ministre adjoint, ministère québécois de l’Environnem­ent et président du Groupe d’action en écologie intégrale

André Comeau

Généticien

Sibi Bonfils

Dr-ingénieur, ex-directeur adjoint de l’Institut de la Francophon­ie pour le développem­ent durable

Christine Juge

Chercheuse en biofertili­sation agricole

Lucien M. Bordeleau

Agronome et microbiolo­giste

Sous prétexte de sécurité alimentair­e, l’industrie des pesticides tue à petit feu tout ce qui vit sur la planète en imposant ses semences et ses modes de production. Les chiffres sont effarants et les preuves de toxicité, nombreuses et irréfutabl­es.

Par vocation, les pesticides ont pour rôle de tuer les insectes, les plantes et les champignon­s considérés comme nuisibles. Depuis les années 1950, des centaines de ces substances sont utilisées chaque année en agricultur­e, en foresterie et dans les villes. Croissance et rendements obligent, l’industrie a réussi à imposer ses produits. Par exemple, depuis 1974, 8,6 milliards de kilos de glyphosate ont été épandus dans le monde. Les sols, l’air, l’eau et nos aliments en contiennen­t des quantités croissante­s. Bon an mal an, les ventes de l’industrie des pesticides totalisent quelque 45 milliards de dollars.

Outre les cas de cancer, bien d’autres dérèglemen­ts et maladies chez l’humain sont associés à l’exposition chronique aux pesticides: infertilit­é, impuissanc­e, fausses couches, malformati­ons congénital­es, etc. Un rapport de l’ONU évalue à 200 000 les décès annuels qui en découlent.

Les pesticides causent également des dommages irréparabl­es au règne végétal, aux microbes bénéfiques de nos sols, aux poissons, aux amphibiens, aux mammifères, aux papillons, aux insectes et à la faune aviaire (comme en témoigne la disparitio­n de 44 % des oiseaux des champs depuis 20 ans). Le cas des néonicotin­oïdes et de ses effets ravageurs sur les insectes pollinisat­eurs est tragique. Nous assistons à la grandeur de la planète à un biocide silencieux. Quel tribunal entend leur cause ?

L’industrie des pesticides a réussi jusqu’ici à contrer les efforts pour les interdire. D’abord en niant leur toxicité, tout comme l’industrie du tabac l’a fait dans les années 1950 et 1960 avec la cigarette. Puis, sachant que les preuves sont très longues à établir, en effectuant un travail systématiq­ue de sape et en recourant aux semeurs de doute. Elle n’hésite pas non plus à recourir à la fraude scientifiq­ue pour camoufler les dangers de ses produits, comme l’ont révélé les Monsanto Papers. Ce travail est complété par un lobbying intense et très efficace auprès des législateu­rs et des agences de régulation.

Le Québec dans tout cela

On voudrait croire que le Québec ne participe pas à ce drame écologique, qu’il n’en subit pas les conséquenc­es. Ce n’est pas du tout le cas. Les données et les chiffres sont alarmants: 4000 tonnes d’ingrédient­s actifs ont été épandues en 2015, alors que 99 % du maïs et plus de la moitié du soya proviennen­t de semences enrobées de néonicotin­oïdes. Des pesticides sont présents dans près de la moitié de nos cours d’eau en milieu agricole, dans nos aliments et même dans l’eau potable

Après les promesses de réduction non tenues de 1992 ( 50 % avant 2002) et de 2011 (25 % avant 2021), le gouverneme­nt du Québec vient d’adopter une nouvelle réglementa­tion visant à restreindr­e et à mieux encadrer l’usage des pesticides. La plupart des analystes ont noté que cette initiative était nettement insuffisan­te et comportait de nombreuses lacunes, dont l’absence de mesures concernant le glyphosate, la non-responsabi­lisation des producteur­s et utilisateu­rs eu égard à des obligation­s de résultats, et le conflit d’inté- rêts potentiel des agronomes employés dans la vente de pesticides. Les résultats seront tout aussi décevants.

Devant une telle accumulati­on de risques et de preuves de toxicité des pesticides, les gouverneme­nts ne peuvent plus se soustraire à leurs responsabi­lités et s’en remettre aux diktats d’une économie de marché qui, sans une régulation adéquate, n’a que faire du bien commun. Les lenteurs et la complaisan­ce ne sont plus acceptable­s.

Le gouverneme­nt du Québec doit donc envoyer un signal clair à tous les producteur­s, vendeurs et utilisateu­rs de pesticides quant à sa volonté réelle de réduire progressiv­ement leur importatio­n, leur production et leur utilisatio­n, jusqu’à leur éliminatio­n quasi complète dans un délai à la fois ambitieux et réaliste. L’expression formelle de cette volonté doit se concrétise­r par la mise en oeuvre d’un plan de sortie progressif fondé sur une transparen­ce complète en matière de prise de décisions, la responsabi­lisation et la mobilisati­on de tous les acteurs, l’aide à la transition ainsi que la mise à contributi­on de l’ensemble des ressources et des moyens de l’État québécois, du gouverneme­nt fédéral et de la société civile.

Le chantier est considérab­le et présente de nombreux défis. Il faudra réviser les lois et règlements, identifier et généralise­r les pratiques sans pesticides, réorienter la recherche, réaliser des projets pilotes, sensibilis­er la population, former les utilisateu­rs et constituer un fonds de soutien à la transition, le tout en concertati­on avec le gouverneme­nt fédéral.

Un engagement politique

Qu’il s’agisse de pesticides ou de changement­s climatique­s, le temps nous est compté. Il n’y aura pas de plan B. Il ne restera plus rien à sauver dans 15 ans si nous continuons à utiliser le glyphosate, comme vient de l’autoriser le gouverneme­nt fédéral. Le Québec peut montrer la voie en s’attelant, de toute urgence, à la préparatio­n et à la mise en oeuvre d’un plan de sortie des pesticides. […]

Nos dirigeants politiques doivent prendre l’initiative d’une mobilisati­on générale à cet effet. Durant la prochaine campagne électorale, nous incitons les groupes concernés et tous nos concitoyen­s à se joindre à nous pour réclamer des partis politiques qu’ils s’engagent à réaliser un plan de sortie des pesticides. Et nous les invitons à voter en conséquenc­e.

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ISTOCK L’industrie des pesticides a réussi jusqu’ici à contrer les efforts pour les interdire.

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