Saut dans l’inconnu pour les festivaliers du FFM
Le FFM, « seul véritable festival indépendant », selon le président du jury Silvio Caiozzi au lancement de la 42e édition
Sans les descriptions des oeuvres, mais avec une programmation complète et avec un jury, le Festival des films du monde (FFM) a démarré jeudi soir. Il manquait aussi ce lustre digne d’une cérémonie d’ouverture, notamment parce que le Cinéma Impérial était loin d’afficher complet.
Serge Losique, l’éternel président de cette fête en perte de vitesse, est apparu dans sa verve habituelle, lançant des flèches à ses détracteurs. « On m’a enterré 1000 fois et ça prouve qu’on peut vivre 1000 fois », a-t-il dit avant de dévoiler la composition de son jury.
Le groupe formé de cinq membres sera présidé par Silvio Caiozzi, lauréat du Grand Prix des Amériques 2017. Le cinéaste chilien est monté sur scène pour affirmer que le FFM est le « seul véritable festival indépendant », qui ne jure que par la qualité cinématographique. L’argent, le sceau Hollywood, la couleur politique ne comptent pas à Montréal, selon lui.
Les jurés, tous des hommes, à moins que le nom gardé secret concerne une femme, n’ont pas tous fait le voyage. Le plus connu d’entre eux, Pierre-Henri Deleau, pendant trente ans à la barre de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, est resté en Europe. Le seul autre membre présent ici est le critique montréalais Élie Castiel et par ailleurs programmateur de ce 42e FFM.
À noter que la programmation aux cinémas du Quartier latin a finalement été mise en ligne. Les festivaliers ne peuvent cependant acheter des billets qu’à l’unité, au plein prix (13,50 $).
Un cas de figure
Des premiers films, des cinéastes inconnus, des choses qu’on ne voit nulle part : tous ces justificatifs portés à la défense du FFM correspondent au documentaire Campesino, de l’actrice et productrice Mia Tate. Or, ce premier long métrage peut aussi servir de cas de figure du saut dans l’inconnu que le FFM réserve à ses invités.
Arrivée en ville la veille de l’ouverture de la 42e édition du festival, Mia Tate ne connaissait toujours pas, vingt-quatre heures plus tard, où et quand la première canadienne de son film aura lieu. Elle demeure cependant affable et confiante, portée par l’excitation de pouvoir rencontrer son public et répondre à des questions.
« Je m’attendais à recevoir plus d’information que ce que j’ai reçu. J’espère que j’en aurai plus [jeudi] soir », dit celle qui a appris qu’elle ferait le festival il y a huit semaines. En soirée, son film est apparu dans la programmation du Quartier latin. Une seule projection : vendredi à 16 h 30.
Projeté pour le moment uniquement dans des cadres intimes de musées,
Campesino entreprend son parcours de festivals à Montréal. Mia Tate a choisi le FFM pour la longévité qui fait, soutientelle, sa réputation. « C’est la 42e édition. Ça m’impressionne », dit-elle.
La voilà donc, ici, la documentariste débutante. Celle dont le fait le plus notable de la carrière à l’écran est d’avoir séduit Georges Clooney dans O Brother,
Where Art Thou ? (2000) arrive avec un sujet riche. Avec deux, plutôt.
Campé dans un village cubain, Campesino suit un photographe de l’Utah (Carl Oelerich), attiré par de vieilles façons de cultiver. Ce sont les deux sujets de Tate : les images d’Oelerich d’une part, la vie et la voix des paysans cubains d’autre part, les unes en noir et blanc, les autres en couleur.
Sujets riches, parce que méconnus. Le Cuba que photographie en amateur depuis quinze ans cet employé de l’aéroport de Salt Lake City, et que documente à son tour Mia Tate, est hors clichés, hors des discours pro ou anticommunisme.
Carl Oelerich est un homme secret, qui ne photographie que pour lui. La réalisatrice le connaît parce qu’elle est sa belle-soeur. Lui ne prétend pas faire carrière, bien qu’il ait, selon Mia Tate, commencé à exposer. Les portraits de cet humaniste ont une familiarité artistique avec ceux des Dorothea Lange et Walker Evans du début du XXe siècle.
En pays interdit
La tâche ne fut pas facile, parce qu’en tant que citoyenne des États-Unis, se rendre à Cuba était pour Mia Tate, jusqu’à tout récemment, interdit. Elle l’a quand même fait, comme son beau-frère le fait depuis 2002, en passant par le Mexique.
« On est entré illégalement, dit la documentariste, qui admet quand même avoir révélé son identité en arrivant sur l’île. Mais sans estampiller nos passeports. Il y a beaucoup de zones grises à Cuba. »
Narratrice dans l’âme, Mia Tate a sauté dans cette fenêtre ouverte sur de multiples récits.
«J’ai voulu recueillir des mots, les histoires derrière les visages que je voyais dans les photos, dit celle qui ne parle pas espagnol. Je ne recommande à personne de faire un premier documentaire dans une langue inconnue, dans un pays [interdit]. Ce fut difficile. Mais je ne changerais rien. La barrière de la langue m’a forcée à être davantage à l’écoute de la communication non verbale. »
« Ce film n’est pas politique, croit par ailleurs son auteure. Il s’agit d’un film sur le rapprochement de deux pays, sur la fraternité, sur l’art, sur une époque phare alors que le mode de vie de ces paysans est sur le point de se terminer. C’est un film sur la beauté de la vie. »
Vingt ans après le phénomène Buena Vista Social Club, endisqué par Ry Cooder, puis filmé par Wim Wenders, Campesino nous dévoile une autre Cuba. Une Cuba dont l’identité iconique ne passe plus par la musique, mais par les champs, par des faits simples, par l’amitié. La vie est peut-être rude et rustique, mais rien n’empêche d’y mordre à pleines dents, comme cet homme filmé alors qu’il roule ses feuilles de tabac.
« Du tabac créole, pur, naturel », ditil, le cigare fraîchement fabriqué à la bouche.