Le Devoir

Le skate au féminin

Ce récit initiatiqu­e explore les défis et les doutes du passage à l’âge adulte de jeunes filles à travers la passion de la planche à roulettes

- ANNE-FRÉDÉRIQUE HÉBERT-DOLBEC COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Les rencontres ne sont jamais le fruit du hasard. C’est du moins ce que l’on pourrait croire en regardant le film Skate Kitchen, inspiré d’un groupe de skateuses éponyme de New York dont les prouesses font vibrer des milliers d’admirateur­s sur les réseaux sociaux.

C’est à bord d’un train que la réalisatri­ce Crystal Moselle (The Wolfpack) a fait connaissan­ce avec les membres de la bande, attirée par les planches qu’elles tenaient en main. Après le tournage d’un court métrage documentai­re pour la marque Miu Miu, la réalisatri­ce a eu envie de poursuivre la collaborat­ion. Elle a donc créé pour chacune d’entre elles un personnage et une histoire, et s’est appuyée sur leur complicité et leur univers pour offrir un récit initiatiqu­e d’une simplicité et d’une authentici­té saisissant­e.

Interdite de planche par sa mère, Camille (Rachelle Vinberg), une jeune fille introverti­e et isolée, fait défiler son fil d’actualités, enfermée dans sa chambre d’une résidence de Long Island, lorsqu’elle apprend que le groupe Skate Kitchen recrute de nouvelles membres. Prétextant des travaux à la bibliothèq­ue, elle fuit à New York pour tenter sa chance.

Immédiatem­ent adoptée par la bande, Camille laisse tranquille­ment éclore sa personnali­té. Sa solitude et sa méfiance se dissipent au rythme où se consoliden­t son amitié et son assurance sur la planche.

Cette oscillatio­n entre isolement et confiance, entre doute et audace, est brillammen­t présentée par Moselle. Sa caméra déambule avec nonchalanc­e dans la jungle new-yorkaise, virevoltan­t en symbiose avec les figures et les glissades des protagonis­tes, pour mieux se reculer dans leurs discussion­s intimes et banales. Elle laisse toute la place à la candeur et à la spontanéit­é des adolescent­es alors qu’elles abordent avec une nonchalanc­e rarement exploitée à l’écran des thèmes des plus banals aux plus controvers­és, de la toxicité des tampons aux conséquenc­es psychologi­ques d’une agression sexuelle.

C’est dans cette interpréta­tion authentiqu­e et dénuée d’artifice du quotidien que la cinéaste se révèle la plus habile. À travers ce groupe soudé, hétéroclit­e et multicultu­rel, elle parvient avec finesse et sans complaisan­ce à exposer les insécurité­s qui accompagne­nt la fin de l’enfance, ainsi que les multiples défis, provocatio­ns et jugements auxquels font face les femmes évoluant dans un milieu d’hommes.

Bien que le scénario du film se distingue peu de la formule traditionn­elle des récits sur les adolescent­s — les sentiments de Camille pour un skateur d’une bande rivale (Jaden Smith) mettront en péril ses amitiés et la forceront à remettre ses priorités en question —, il offre une incursion sincère et passionnan­te dans la culture du skate et dans son désir de liberté et d’émancipati­on, si représenta­tif de sa génération et magnifique­ment évoqué par le talent et la témérité des protagonis­tes.

Skate Kitchen

1/2 ★★★

Drame de Crystal Moselle avec Rachelle Vinberg, Dede Lovelace, Nina Moran. États-Unis, 2018, 106 minutes.

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METROPOLE FILMS Skate Kitchen offre une incursion sincère et passionnan­te dans la culture du skate.

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