Sortir des sentiers battus de l’Internet grâce à l’agent de voyages |
La profusion des ressources de tourisme en ligne pourrait donner à penser que le rôle du conseiller en voyages est désuet. Et s’il était plutôt en train de se réinventer hors des idées reçues ?
Il était une fois un séjour à Paris qui ne pouvait pas être acheté par un consommateur sans l’intermédiaire d’un agent de voyages. Ça ne date pas du paléolithique; c’était il y a à peine trois décennies.
Depuis, Internet a procuré aux fournisseurs de services touristiques (transporteurs, hôteliers, guides et autres créateurs d’expériences) une formidable vitrine leur permettant de s’adresser directement aux voyageurs, sans entremetteurs. Avec pour résultat qu’en trois clics, par ici le billet d’avion, avec l’hôtel à la clé, et bye-bye l’agent. Après tout, en 2011 déjà, l’ex-président américain Barack Obama n’avait-il pas insinué, lors d’une allocution à teneur économique, que ce métier était en voie d’extinction ?
Pour Jean Collette, président de l’Association des agents de voyages du Québec, qui compte quelque 800 agences membres, cette idée préconçue provient de la multiplication des canaux de distribution directe. «Aujourd’hui, il y a, en plus de l’agent, les centres d’appel des fournisseurs, les agrégateurs [Trivago en est un exemple], les agrégateurs d’agrégateurs [comme Kayak], les OTA [les agences de voyages en ligne, comme Expedia], TripAdvisor, qui donnait des conseils et, maintenant, permet de réserver en ligne… Tout ça fait en sorte qu’il y a de plus en plus de promoteurs du voyage. »
Sans compter qu’environ « 80 % des Québécois ne voyagent pas, et sont sûrs que tout se passe sur Internet parce qu’ils s’informent sur Internet!» ajoute-t-il.
L’ère de l’« amateur expert »
La mort annoncée du conseiller en voyages fait bien rire Tony Santelli, directeur des études au collège April-Fortier, le vénérable établissement montréalais qui forme, bon an, mal an, 300 futurs acteurs de l’industrie touristique.
«On croit qu’Internet va détruire le rôle de l’agent de voyages, mais
dans les faits, c’est l’inverse qui se produit, affirme-t-il. La clientèle revient dans les agences, car elle réalise qu’elle n’a tout simplement pas le temps d’ organiser son projet de voyage .» Et elle y revient mieux informée que jamais.
Selon le professeur, le consommateur d’aujourd’hui est un «amateur expert»: «Il peut tout apprendre sur le Web, mais il reste un amateur, car il ne maîtrise pas les nuances.» Il achète donc son billet d’avion ou son forfait sur Punta Cana en ligne, mais il consulte un spécialiste pour ses projets plus complexes, dont les «voyages de niche», comme on dit dans le jargon du métier, soit ceux axés sur un intérêt spécifique, comme le cyclisme ou l’observation de la rousserolle en République des Kiribati.
Aurélie Bastien, 25 ans, technologiste médicale au Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James, semble lui donner raison. La jeune femme, qui a séjourné en Ouganda comme en Norvège en passant par l’île de Pâques, aime organiser ses voyages: «Ça m’aide à patienter!» dit-elle. Mais elle ne saurait se passer d’un professionnel quand elle sort des sentiers battus.
«Lorsque je planifie de grands voyages, comme prochainement en Antarctique, j’aime savoir que quelqu’un est avec moi pour m’aider, pour diminuer les risques si quelque chose tourne mal, comme un vol ou un traversier raté, explique-t-elle. Et puis, un agent ou une visite organisée peut nous emmener dans un endroit qu’on n’aurait pas trouvé par soi-même. En Afrique, je n’aurais certainement pas campé toute seule au beau milieu du Serengeti ! »
Ainsi, il n’y a pas que papy-qui-nepitonne pas qui s’adresse aux conseillers en voyages. Et même, selon une étude réalisée en avril 2017 par Signature Travel Network et The Center for Generational Kinetics, les millénariaux le devancent, et de loin. En effet, il est ressorti de l’enquête que 14% des millénariaux, 7% des membres de la génération X et 6 % des baby-boomers ont pour premier réflexe de consulter un conseiller, et non le Web ou d’autres ressources, lors de l’ébauche d’un projet de voyage d’agrément.
C’est moins cher en ligne, vrai ?
Leur supposée non-pertinence en raison d’Internet n’est pas la seule perception erronée que les conseillers en voyages doivent combattre.
«Les jeunes sont convaincus que tout est moins cher sur le Web, dit M. Collette, ex-copropriétaire de Club Voyages Dumoulin. C’est l’argument massue, la grosse idée reçue. La réalité, c’est qu’à partir du moment où le consommateur ne paie pas pour le service qu’il consomme [par exemple la consultation d’un site de réservation de nuitées d’hôtel], c’est que le fournisseur a déjà prévu dans son prix le coût de la distribution de son service ou de son produit, soit la commission au site… qui peut atteindre 30%!» En fait, ce que le consommateur ne réalise pas toujours, c’est que, dans ce cyberespace qu’il consulte, derrière l’écran, il y a, eh bien… une agence.
Le consommateur ignore sans doute aussi que l’agence traditionnelle a des tarifs exclusifs, qui lui sont consentis notamment parce qu’elle vend bien certains produits. «Et ces tarifs sont moins élevés que le meilleur des prix du Web », soutient M. Santelli, cofondateur du réseau Voyages Funtastique.
L’expertise de l’agent fait également économiser des sous aux voyageurs. Après tout, son travail consiste à faire des recherches sur Internet 40 heures par semaine, rappelle M. Collette. « Il n’y a pas un client qui est plus au courant que lui!»
Un exemple d’économie possible ? Saviez-vous que plusieurs recherches sur le Web pour un billet d’avion pour une destination et à une date données peuvent contribuer à en hausser le tarif? Voilà pourquoi un agent prendra une «option» sur le meilleur billet qu’il aura trouvé pour son client, c’est-à-dire qu’il le lui réservera pendant quelques jours jusqu’à ce qu’il se soit décidé. Et ce service est gratuit, contrairement aux transporteurs qui l’offrent, dont KLM.
Sus à l’expérience « touristique » !
Une prétendue absence d’authenticité des expériences proposées par les agents de voyages est une autre perception qui minerait la popularité de ces derniers, selon l’étude citée plus haut. En effet, 26% des millénariaux estiment qu’un voyage organisé par un agent sera trop «touristique». Aussi, deux fois plus de «Y» que de «X» et de babyboomers craignent de passer à côté de la couleur locale en s’en remettant à un conseiller en voyages. Ils préfèrent donc planifier eux-mêmes leurs périples… pour le meilleur et pour le pire.
«Un agent de voyages, c’est important pour conseiller le bon produit au bon client, note Bianca Bélanger, représentante au développement des affaires chez Transat. Et c’est important aussi quand surgit un problème à l’étranger. On l’a vu l’automne dernier à la suite des ouragans qui ont frappé les Caraïbes. Les voyageurs à destination étaient bien contents d’avoir une personne-ressource pour les aider. »
Tout organiser soi-même signifie aussi assumer ses bévues… Oups, le tarif affiché était en dollars américains et non canadiens ! S.O.S., je fais un long voyage avec des compagnies aériennes différentes et mes correspondances sont beaucoup trop serrées! Misère, il me fallait un visa, vraiment ? !
Katherine Breton, une psycho-éducatrice trentenaire de Granby, qui organise presque tous ses voyages depuis 20 ans, afin de «sortir de sa zone de confort», préfère rire de ce qu’elle appelle ses «erreurs de débutante». Comme la fois où elle avait réservé un appartement Airbnb en Malaisie alors qu’elle voulait séjourner à Singapour, ce qui lui a valu des passages quotidiens au poste-frontière!
«Ces erreurs parsèment ma route d’anecdotes rigolotes, dit-elle. Elles forgent mes souvenirs et font de moi une voyageuse plus aguerrie. »
Pareillement, Aurélie Bastien dit éprouver «beaucoup de fierté» à concocter un voyage, qu’il se déroule bien… ou pas. «J’aurai alors appris à gérer les pépins», dit-elle.
Quoi qu’il en soit, pour Tony Santelli, le travail des agents de voyages est désormais facilité par ces voyageurs avisés parce que branchés sur la Grande Toile. « Notre rôle a changé grâce à Internet, dit-il. Il s’agit maintenant d’un travail de collaboration avec le client. Pour tous, c’est un gain de temps, et pour l’agent, travailler sur des projets complexes est certainement plus intéressant que de réserver des chambres d’hôtel à Cancún. »