Bourdon à la Santé et Barrette au trésor
L’ex-p.-d.g. du CHU de Québec dit avoir été courtisée, mais refuse l’étiquette d’opportuniste
Gertrude Bourdon a négocié son entrée en politique : Gaétan Barrette, lui, a négocié sa sortie du ministère de la Santé.
Après avoir flirté successivement avec le PQ et la CAQ, Gertrude Bourdon s’est finalement affichée vendredi aux côtés de son nouveau parti : le Parti libéral du Québec. L’ex-p.-d.g. du Centre hospitalier universitaire de Québec-Université Laval a obtenu à la clé la promesse de diriger le ministère de la Santé.
Mme Bourdon s’est affairée, dans sa première sortie médiatique, à déconstruire l’idée selon laquelle elle a « magasiné » son parti politique ou encore « négocié » sa candidature en prévision du scrutin du 1er octobre prochain. « Moi, j’aime magasiner. Moi, quand je magasine, je me rends au magasin. Quand le magasin vient cogner à ma porte, j’appelle ça être sollicitée. Donc, moi, j’ai été sollicitée », a-t-elle fait valoir lors d’une conférence de presse dans l’Arboretum du domaine Maizerets.
Mme Bourdon est demeurée vague sur la nature des « discussions » et des « échanges » qu’elle a eus avec des membres élus et non élus du PQ, de la CAQ et du PLQ, en raison, a-telle dit, de son « éthique professionnelle ». « J’ai un principe : c’est […] que les conversations privées, c’est privé », a-t-elle lancé entourée notamment de plusieurs candidats libéraux, dont Philippe Couillard et Gaétan Barrette.
La candidate libérale dans Jean-Lesage a toutefois nié en bloc avoir déclaré, il y a quelques mois, à l’élue péquiste Agnès Maltais que le « Parti québécois était [son] parti ». « Écoutez, moi, je suis fédéraliste. J’ai voté Non aux deux référendums », a-t-elle précisé. Elle a aussi démenti avoir indiqué qu’elle ne porterait jamais les couleurs du PLQ. « J’ai jamais dit ça. »
« Le Parti québécois, c’était clair, ce n’est pas mes valeurs. Il n’y a pas eu beaucoup de rencontres. La CAQ, j’avais besoin de comprendre et on a eu plein d’échanges privés sur plein de choses », a-t-elle expliqué. Elle dit avoir compris au fil des discussions que le «mauvais programme» de la CAQ heurtait ses valeurs. « Quand j’ai rencontré M. Couillard, on avait la même vision de l’avenir en santé. Pourtant, il est médecin, je suis infirmière, ça aurait pu diverger un peu », a ajouté la recrue, avant de réciter, approximativement, quelques-unes des huit valeurs libérales.
Cela dit, Mme Bourdon a renoncé au poste de p.-d.g. du CHUQuébec — un « poste excessivement bien rémunéré », a précisé M. Couillard — pour briguer les suffrages non sans avoir eu préalablement « l’assurance qu’on va mettre en place les leviers financiers » pour « consolider un système de santé humain centré sur le patient » et le respect de l’« entente négociée » entre le gouvernement du Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). « Dire “on déchire ça, on recommence” [comme le proposent la CAQ et le PQ], moi là, j’aime pas ça la chicane [même si] je suis capable de l’affronter — je suis faite solide, je suis infirmière —, mais je veux qu’on construise. Vous savez, le réseau a tellement travaillé dans les dernières années », a-t-elle déclaré.
Le chef libéral a pour sa part promis « d’inclure dans [ses] priorités budgétaires des améliorations à la qualité de vie au travail des personnes qui travaillent dans le réseau ».
M. Barrette s’est dit heureux de « passer le témoin » à une femme «d’une grande compétence» qui «gère bien». Il a convenu de céder les commandes du ministère de la Santé à l’ex-grande patronne du CHU-Québec, en échange de la présidence du Conseil du trésor. Il s’agit d’un « rôle tout à fait adapté pour lui », a fait valoir M. Couillard, moins d’un an après l’avoir écarté des négociations avec la FMSQ. Au trésor, M. Barrette superviserait toutes les négociations du secteur public.
Il est rarissime qu’un premier ministre sortant dévoile ainsi une partie de son éventuel futur Conseil des ministres. Il s’agit d’une « exception », a d’ailleurs spécifié M. Couillard vendredi.
Danielle McCann à la CAQ
Quelques minutes avant que M. Couillard confirme la candidature de Mme Bourdon, François Legault a fait de même avec celle de Danielle McCann, donnant au jour 2 de la campagne une couleur résolument santé. L’ancienne présidente-directrice générale de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal serait selon toute vraisemblance le choix de M. Legault pour occuper le poste de ministre de la Santé.
« Est-ce qu’on peut dire que cette femme est prête à gérer un grand portefeuille ? » a demandé François Legault à des militants rassemblés à Châteauguay. « Elle a toutes les qualités [pour être ministre de la Santé]… mais je ne révélerai pas mon cabinet avant le 1er octobre, si je suis élu », a ajouté le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ).
Les affinités entre M. Legault et Mme McCann se sont établies rapidement. Après avoir essuyé un refus inattendu de Gertrude Bourdon la fin de semaine dernière, le chef caquiste a rencontré la gestionnaire de carrière (dans de nombreux CLSC et CHSLD) lundi. Le lendemain, elle décidait de se lancer en politique.
«On est tombé en amour», a résumé François Legault. «J’ai senti avec lui une forte convergence d’idées sur les moyens d’améliorer la situation en santé », a ajouté sa candidate dans Sanguinet. Mme McCann a soutenu qu’elle se « sent comme étant le premier choix de M. Legault ».
Le premier ministre Couillard n’avait certainement pas besoin d’un sondage commandité par la CAQ pour savoir que Gaétan Barrette est devenu un boulet pour son gouvernement. Il y a longtemps qu’il trône au sommet de la liste des mal-aimés de la politique québécoise.
Tasser le ministre de la Santé aurait pu être une opération douloureuse. Même l’éviction d’un poids plume comme François Ouimet a tourné au psychodrame. Dans le passé, M. Barrette a catégoriquement refusé toute mutation.
En remportant la loterie Gertrude Bourdon, M. Couillard a toutefois mis la main sur une recrue que M. Barrette juge digne de lui succéder, alors que M. Ouimet doit encore se demander en quoi Enrico Ciccone est plus qualifié que lui.
M. Barrette a accepté de s’effacer à la condition d’hériter du Conseil du trésor, une perspective qui est de nature à en inquiéter plusieurs. Le premier ministre a même dû rompre avec la tradition en annonçant sa nomination à l’avance, tout comme celle de Mme Bourdon.
Jean-François Lisée a présenté la p.-d.g. du CHU de Québec-Université Laval comme le « symbole de l’indécence politique ». En évacuant la question du référendum, qui rendait les frontières entre les partis plus étanches, le PQ a cependant facilité ce butinage. Comme bien des électeurs, certains candidats se sentent plus libres de magasiner. François Legault n’a pas mis de temps à retomber sur ses pattes. L’ancienne p.-d.g. de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, Danielle McCann, n’était manifestement pas son premier choix, mais elle a aussi le profil que M. Legault recherchait pour former un tandem de la santé avec le Dr Lionel Carmant, comme lui-même en a jadis formé un avec David Levine au sein du gouvernement de Bernard Landry.
Si la compétence de Mme Bourdon ne fait aucun doute, elle est perçue dans le réseau comme une « hospitalo-centriste », alors que Mme McCann, issue de la première ligne, correspond peut-être mieux à la vision de la CAQ.
Le revirement de Mme Bourdon en a choqué plusieurs, mais on peut difficilement l’accuser d’opportunisme. Ses chances d’être élue dans la région de Québec et de devenir éventuellement ministre semblaient bien meilleures avec la CAQ, qui lui proposait la circonscription de Charlesbourg, où des sondages internes lui accordaient une confortable avance.
Dans Jean-Lesage, où elle défendra les couleurs du PLQ, un sondage Mainstreet Research réalisé jeudi pour le compte de la CAQ place Mme Bourdon au troisième rang avec 18 % des intentions de vote, derrière la candidate caquiste (25 %) et le candidat de QS (21 %).
On peut se demander dans quelle mesure M. Couillard croit réellement à la possibilité de la faire élire ou s’il cherchait simplement une suppléante qui lui permettrait de remiser son encombrant ministre de la Santé pour la durée de la campagne, en se disant qu’il sera toujours temps d’aviser par la suite.
Qui héritera de la Santé si Mme Bourdon n’est pas élue, mais que le PLQ conserve le pouvoir ? La formation d’un Conseil des ministres est un exercice difficile, dont le résultat peut être très différent de ce qu’on avait prévu au départ. Se pourrait-il que M. Barrette, dont la réélection dans La Pinière est pratiquement assurée, retrouve finalement son poste ?
Dans Sanguinet, la dernière des circonscriptions que Legault avait gardées en réserve pour attirer un candidat vedette, Mme McCann se retrouve au coeur du Caquistan. Si elle n’y est pas élue, c’est que la CAQ ne formera pas le gouvernement.
Mme Bourdon avait beau être une femme très occupée, elle ne pouvait pas ignorer qu’un puissant vent caquiste souffle sur la capitale depuis plus d’un an. Sa décision de choisir néanmoins le PLQ n’a certainement pas été prise à la légère. Sans vouloir minimiser sa découverte des « valeurs libérales », cette gestionnaire d’expérience croit manifestement impossible d’assurer le bon fonctionnement du réseau de la santé si on force les médecins spécialistes à renoncer à des revenus totalisant 1 milliard par année, comme s’y est engagée la CAQ.
Après avoir dénoncé sur tous les tons l’entente signée en février dernier, M. Legault ne pouvait pas revenir sur cet engagement sans perdre toute crédibilité. Qui plus est, la validité du cadre financier de la CAQ reposera en grande partie sur cette récupération.
Les craintes de Mme Bourbon n’en sont pas moins légitimes. Si choquantes que puissent être les augmentations accordées aux spécialistes, leur collaboration demeure indispensable. Si un gouvernement caquiste décide de déchirer l’entente, la révision du mode de rémunération des médecins et l’octroi d’une plus grande autonomie aux autres professionnels de la santé, que projette également la CAQ, risquent fort de tourner à l’affrontement.
Qui héritera de la Santé si Mme Bourdon n’est pas élue, mais que le PLQ conserve le pouvoir ? La formation d’un conseil des ministres est un exercice difficile, dont le résultat peut être très différent de ce qu’on avait prévu au départ. Se pourrait-il que M. Barrette, dont la réélection dans La Pinière est pratiquement assurée, retrouve finalement son poste ?