Le Devoir

Les élections ou « La fanfare des espoirs »

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

En campagne électorale, la fanfare des espoirs résonne et impose le rythme. La promesse électorale a d’immenses vertus : elle peut transforme­r une réalité sociale un tantinet morose en un rêve accessible. Ce sont les règles du jeu. Aux électeurs de faire le tri, mais gare aux lunettes roses. Un certain réalisme et un brin de lucidité sont de mise.

L’éducation, par exemple, s’est vu donner invariable­ment le titre de « priorité » au gré des récentes élections, et celle-ci n’est pas en reste. Concept en apparence peu obscur — car tout le monde a forcément une opinion sur l’école, y ayant cheminé ou fait cheminer des enfants —, le thème de l’éducation a ceci de formidable qu’il rime avec constructi­on sociale du Québec de demain, fabricatio­n d’une économie solide et promesse d’une société en santé. On peut difficilem­ent trouver meilleure carte de séduction.

L’enjeu de l’éducation est d’une importance cruciale ; mais l’est tout autant celui de présenter une véritable vision, du préscolair­e au postdoctor­at, sans succomber aux recettes faciles, qui ont déjà commencé à faire les nouvelles. Nous cherchons en vain, dans la lecture des programmes, cette vision constructi­ve alliant autour de l’école justice sociale et économie du savoir.

Les maux de l’école sont connus. Le PLQ et le PQ — avec, jadis, un certain François Legault en maître de l’Éducation — ont tous deux en leur temps présidé aux destinées du Québec et présenté stratégies nationales, plans d’action et de réussite autour de certains problèmes récurrents : le taux de décrochage (63 %, le pire au Canada, selon un récent rapport de l’Institut du Québec) ; la réussite brinquebal­ante des garçons, phénomène associé au Québec ; l’augmentati­on affolante du nombre d’élèves en difficulté et leur présence à tous les niveaux d’étude, enseigneme­nt supérieur compris ; la pénurie et l’épuisement des enseignant­s, et l’incapacité du système de s’attaquer à la source au problème de formation des maîtres ; la détériorat­ion des infrastruc­tures ; la stagnation des taux de diplomatio­n au cégep et à l’université. Alouette !

De passage au Devoir cette semaine, le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, a lancé ni plus ni moins qu’un cri du coeur en nommant l’indifféren­ce dans laquelle son réseau collégial semble flotter depuis quelque temps. Bien sûr, on n’entend plus d’agitateur pour réclamer la disparitio­n des cégeps, un refrain qui fut pourtant déjà à la mode, mais les collèges ne croyaient pas pour autant sombrer dans l’oubli complet. C’est à cor et à cri qu’ils réclament désormais une « stratégie nationale » pour briser — l’oubli ? le mépris ? — l’apathie dans laquelle les 48 collèges du Québec stagnent désormais, constatant qu’il n’y en a dans les discours politiques que pour « l’école des tout-petits », sans plus d’égards pour le reste du réseau. L’éducation est « tenue pour acquise », dit Bernard Tremblay. On ne sent plus l’« urgence ».

Cette dissonance entre l’appel du terrain et le chant politique est troublante. En réclamant une stratégie, c’est à une vision d’ensemble que les cégeps en appellent, rappelant avec nostalgie l’époque de feu Paul Gérin-Lajoie, où tout était à inventer, mais où on avait pris le temps, cette denrée rare, de réfléchir au portrait d’ensemble avant de se lancer dans les actions.

Écoles, cégeps et université­s savent bien en outre qu’avec le changement de garde à venir, c’est un nouveau ministre qui fera son entrée — avec peutêtre le retour d’un seul titulaire au ministère pour mener l’école primaire et secondaire et l’enseigneme­nt supérieur. Et avec cette nouvelle tête, des structures à revoir, des réformes possibles à enclencher, des troupes à stimuler, des ressources à engager. En éducation, comme en santé d’ailleurs, certaines réformes sont associées à un souvenir douloureux et ont érodé la motivation des effectifs.

C’est donc un certain courage qu’il faut appeler en cette période électorale pour que le prochain gouverneme­nt s’attaque, avec une vision d’ensemble, aux maux de la base, qui tirent le Québec vers le bas : 19 % des Québécois sont analphabèt­es, la pauvreté est un facteur clé du décrochage, l’enseigneme­nt n’a pas la cote. Ce socle de morosité ne peut être négligé au profit de mesures bonbons.

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