Le Devoir

Le Conseil de presse est-il l’artisan de son propre malheur ?

- Raymond Corriveau Professeur associé, Départemen­t de lettres et communicat­ion sociale, UQTR, et ancien président du Conseil de presse du Québec

Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre, en 1995 à mon arrivée au Conseil de presse comme représenta­nt du public, qu’aucune loi ou aucun décret ne garantissa­it l’existence du Conseil de presse ! Cela était d’autant plus surprenant que le rôle social du Conseil semblait partagé par tous.

Depuis la première tournée du Québec sur l’état de l’informatio­n qui avait envenimé nos relations avec les entreprise­s de presse, la présence du Conseil dans l’espace public s’est faite de plus en plus discrète, pour ne pas dire absente. Pourtant, ce ne sont pas les sujets qui auraient mérité des prises de position sur toutes les plateforme­s médiatique­s qui manquent. Cela va des infidélité­s policières envers les journalist­es jusqu’aux subvention­s accordées à certains médias et pas à d’autres.

Cette inoccupati­on de l’espace public s’est aussi accompagné­e d’une série de gestes qui mettaient le citoyen à distance des activités du Conseil. Bien que sur le site Web du Conseil on indique un hyperlien sur les droits et responsabi­lités de la presse, la nouvelle référence déontologi­que n’emprunte pas du tout cette avenue. Désormais, il n’y a plus de définition du genre journalist­ique et la préoccupat­ion citoyenne a été totalement évacuée. Ces deux exemples sont tirés d’un article où j’ai analysé l’ancienne et la nouvelle version du guide déontologi­que. J’en suis venu à la conclusion que le nouveau guide était tellement orienté vers l’intérêt des entreprise­s de presse que cela remettait à mes yeux en question la pertinence d’un financemen­t public. C’est sans compter qu’une étape d’acceptatio­n d’une plainte a été ajoutée au processus pour porter plainte, et ce, dans l’intérêt évident des entreprise­s de presse.

Pire encore, on accepte désormais des «audiences» fermées où le plaignant ne peut assister aux représenta­tions des médias et des journalist­es. Une partie de la preuve échappe donc au plaignant. Michel Lemay, sur son blogue Wapizagonk­e, en fait une analyse très détaillée. Et que dire d’une organisati­on privée qui est financée à plus de 60 % par les entreprise­s de presse, celles-là mêmes qui sont au banc des accusés ? Vous feriez confiance, vous, à un juge financé à 60 % par la partie qui vous affronte ? C’est devenu une parodie où la notion d’intérêt public n’est plus que prétexte.

Et comme si ce n’était pas encore assez, certaines décisions prises en appel louvoient sérieuseme­nt avec les principes de l’appel en faveur de deux importants contribute­urs financiers, dont l’un avait publiqueme­nt menacé de retirer son appui financier si la décision de la première instance était maintenue à l’égard de son journalist­e. Cette nouvelle orientatio­n qui prend ses distances du service public, le Conseil ne s’en cache nullement puisqu’il écrit sur sa page Web qu’il est un organisme privé, chose que nous n’aurions jamais osé affirmer à l’époque. Dans un pareil contexte, faut-il se surprendre des motifs invoqués par TVA, à savoir que le Conseil ne représente que ses propres membres et non pas la société civile, ce qui en diminue largement la portée morale.

La société civile doit se réjouir des récentes lois qui garantisse­nt la protection des sources journalist­iques. La quête d’informatio­n réalisée dans l’intérêt public se voit ainsi dotée d’un nouvel appui. Après le dépôt des recommanda­tions de la commission Chamberlan­d, Brian Myles, dans un éditorial, s’étonnait (ou se réjouissai­t) que l’on ait octroyé tant de privilèges aux journalist­es sans exiger la création d’un ordre profession­nel.

L’allusion n’était pas anodine et soulève une question centrale en ce qui a trait à la garantie éthique nécessaire qui devrait normalemen­t découler des nouveaux privilèges accordés au monde des médias. Disons d’entrée de jeu que pas mal de monde en société protège le public et que la sempiterne­lle prétention des médias à sauver la démocratie, sans être totalement fausse, relève d’un abus de sens qui devient agaçant.

La protection de la démocratie, c’est se faire élire, c’est faire des lois, les faire respecter, enseigner le sens de l’équité et de la justice aux plus jeunes comme aux plus vieux, c’est aussi payer ses taxes, éviter le travail au noir, c’est également la nécessité de sanctionne­r, mais aussi celle de sauver des vies, de soigner des vies. Bref, la démocratie n’est pas l’affaire d’une caste ou d’un groupe, c’est tout le travail du vivre ensemble réalisé par chaque membre de la société. Autrement dit, si les médias prétendent protéger le public, qui protège le public des médias ?

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