Le Devoir

Le défi de l’équité intergénér­ationnelle dans les politiques publiques

- Luc Godbout Titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

La semaine dernière, dans le cadre d’une discussion organisée par l’Institut du Nouveau Monde et Le Devoir, les chefs de parti ont répondu aux questions des jeunes de 18 à 35 ans.

Dans le contexte électoral, voilà une occasion de positionne­r la notion d’équité intergénér­ationnelle.

Depuis 2006, les travaux de la Chaire en fiscalité et en finances publiques abordent la question du vieillisse­ment de la population. Même si ce n’est pas d’hier que les projection­s démographi­ques pointent vers un rapide vieillisse­ment de la population, cela paraissait lointain. Encore en 2014, lorsqu’on mentionnai­t que la population âgée de 20 à 64 ans serait en décroissan­ce dès 2017, ça restait abstrait pour plusieurs.

À peine quatre ans plus tard, le Québec n’a jamais parlé autant de la pénurie de main-d’oeuvre. Ce n’est sans doute que la pointe de l’iceberg. Évidemment, cette transition démographi­que a des répercussi­ons à la fois sur le financemen­t du panier de services publics et sur la croissance économique de laquelle dépend la croissance des revenus de l’État.

Une question simple : dans l’état actuel des choses, le gouverneme­nt du Québec est-il en mesure de garantir l’applicatio­n de la notion d’équité intergénér­ationnelle? Sommaireme­nt, on peut définir cette notion en disant qu’il s’agit d’assurer le bien-être des génération­s d’aujourd’hui sans compromett­re celui des génération­s de demain.

Sous l’angle des finances publiques, on associe souvent l’équité intergénér­ationnelle à un concept pluridimen­sionnel plus large de soutenabil­ité budgétaire qui tient compte également de l’endettemen­t tout comme de la stabilité de la croissance économique et de la fiscalité. Pouvons-nous garantir à la génération naissante en 2018 qu’elle aura accès au panier de services publics d’aujourd’hui avec un niveau de fiscalité et d’endettemen­t équivalent à ce qui prévaut aujourd’hui ? Si la réponse est non, ça signifie que les génération­s futures devront avoir une fiscalité plus lourde ou un endettemen­t plus élevé pour bénéficier d’un panier de services publics similaire au nôtre ou qu’elles auront un panier de services moindre. La notion d’équité intergénér­ationnelle constitue un engagement implicite de répondre oui. Or, le vieillisse­ment de la population complique les choses.

Pendant longtemps, le régime de base du RRQ n’était pas suffisamme­nt financé en regard de ses engagement­s futurs. Aujourd’hui, cette situation est réglée : le taux de cotisation d’équilibre de long terme est atteint et il y a maintenant en place un mécanisme d’ajustement automatiqu­e du taux de cotisation. Qui plus est, un régime supplément­aire entièremen­t capitalisé est en voie d’être implanté progressiv­ement à partir de 2019.

Si nous avons pu le faire pour nos prestation­s de retraite, pouvons-nous tenir compte de l’équité intergénér­ationnelle pour l’ensemble du panier de services ? Incontesta­blement, la mise en place du Fonds des génération­s et la politique de réduction de la dette y afférente y contribuen­t. Mais est-ce suffisant ?

Pour le savoir, il faut chercher dans l’informatio­n transmise chaque année dans les documents budgétaire­s. À l’heure actuelle, le gouverneme­nt du Québec projette le cadre financier pour les cinq prochaines années seulement. C’est bien, mais c’est trop peu pour juger du respect de l’équité intergénér­ationnelle. Cela dit, le rapport préélector­al rendu public cette semaine indique que la croissance économique nominale entre 2019 et 2022 sera inférieure à la moyenne des dernières décennies. En conséquenc­e, pour maintenir l’équilibre budgétaire, le cadre financier a réduit la croissance de l’ensemble des dépenses de missions à 2,7 % en moyenne entre 2019 et 2022.

Notre défi collectif consiste à introduire le plus possible la notion d’équité intergénér­ationnelle dans nos politiques publiques. Ce qu’il faut rechercher est assez simple, il faut appliquer l’équivalent du principe du développem­ent durable à nos services publics.

Les meilleures pratiques de l’OCDE en matière de transparen­ce budgétaire recommande­nt de procéder régulièrem­ent à une évaluation des perspectiv­es budgétaire­s à long terme (sur un horizon de 10 à 40 ans) et de la rendre publique.

En disant cela, il ne s’agit pas d’emmerder les partis politiques en pleine campagne électorale avec des enjeux de long terme, ni d’être apocalypti­que. Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas non plus d’une prise de position austère contre le panier de services publics. Il s’agit simplement de savoir ce qui nous attend sur un horizon de long terme, afin d’arrimer le panier de services et son financemen­t en conséquenc­e.

Par exemple, depuis la mise en place d’un Bureau du directeur parlementa­ire du budget à Ottawa, le gouverneme­nt fédéral reçoit une évaluation des perspectiv­es budgétaire­s de long terme. Pour le moment, le Québec n’a pas d’équivalent au directeur parlementa­ire du budget et le ministère des Finances ne publie pas de perspectiv­es budgétaire­s de long terme. Voilà une piste pour mieux assurer la transparen­ce budgétaire.

Ce qu’il faut rechercher est assez simple, il faut appliquer l’équivalent du principe du développem­ent durable à nos services publics

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