Louis Cornellier
Comme tous les vrais mordus de politique, je raffole des sondages préélectoraux et, contrairement aux politiciens, j’adore les commenter. Je sais bien, cependant, que ces exercices ne font pas l’unanimité. Certains les disent nuisibles à la démocratie et les qualifient de « nouvelles faciles», voire de propagande.
Dans un texte publié dans notre page Idées le 27 mars 2014, Patrick Préville, président d’Indice RP, une firme spécialisée en relations publiques et en mesure d’impact, en vient à la conclusion que les sondages en temps d’élection ont une réelle influence sur le comportement des électeurs. « Cette situation est inacceptable en démocratie, écrit-il. Les électeurs devraient pouvoir faire leur choix en respectant leur conviction profonde. »
Ce point de vue, partagé par nombre d’experts, est pourtant contestable. Les sondages, en effet, sont là pour de bon. Les partis politiques et les institutions qui en ont les moyens continueront d’en commander, même si on en interdisait la diffusion. Une telle interdiction, par conséquent, reviendrait à empêcher les citoyens ordinaires d’accéder à une information utilisée par les dirigeants.
Des conséquences favorables
Or, comme l’écrivait le politologue Vincent Lemieux dans Les sondages et la démocratie (IQRC, 1988), «il ne peut y avoir de démocratie dans l’usage des sondages si cet usage est confiné aux acteurs politiques les plus puissants […], sans que les publics, qui en sont bien souvent les cibles, puissent en prendre connaissance ». Sans nier les carences de ces outils, Lemieux concluait que l’utilisation des sondages politiques avait «des conséquences plus positives que négatives sur l’exercice de la démocratie ».
Dans Sondages. Outils de la démocratie ou opinion réalité? (Robert Laffont, 2018, 184 pages), René Gélinas, expert en la matière et chargé de cours à l’École de gestion de l’UQTR, abonde dans le sens de Lemieux. «Y a-t-il trop de sondages? Je ne crois pas, répond-il. Sont-ils utiles? Oui. […] Les sondages rendent plus visible, plus concrète l’évolution [de la course électorale]. Par les réactions qu’ils suscitent, ils animent le débat, public et privé. »
Il faut distinguer au moins deux types de sondages politiques. Il y a ceux que commande un gouverne- ment afin de tâter le pouls de l’opinion publique au sujet de diverses politiques et il y a les sondages préélectoraux sur les intentions de vote. Gélinas, contrairement à Lemieux, traite essentiellement de ces derniers, ceux « qui font le régal des médias et que les politiciens redoutent parfois».
Après avoir tracé une brève histoire des sondages où il rappelle, notamment, que la pratique rigoureuse de cet exercice a été codifiée pour la première fois en 1935 par le journaliste américain G. H. Gallup, Gélinas se penche, de manière par moments brouillonne, sur des considérations méthodologiques (échantillon représentatif, marge d’erreur, biais potentiels), avant de s’attaquer à la question de l’influence des sondages sur le vote.
Mauvais effets
On soupçonne les sondages de faire augmenter l’appui au meneur, mais aussi de susciter l’opposition au meneur. On leur attribue un possible effet de démobilisation — à quoi bon voter si la course est gagnée ou perdue d’avance ? —, mais aussi de mobilisation, quand les militants constatent qu’ils doivent redoubler d’effort. Certains les accusent, enfin, d’encourager le vote stratégique, qui consiste à choisir, à contrecoeur, un moindre mal. En démocratie, cette dernière option, vilipendée par les purs et impossible sans les sondages, m’apparaît parfaitement légitime.
Gélinas, pour sa part, se demande, à juste titre, si tous ces effets ne finissent pas par s’annuler et il postule que l’influence des sondages n’est pas déterminante, non sans souligner qu’ils peuvent exercer une influence indue dans le cas où les médias font le choix d’accorder plus d’attention aux meneurs. On peut d’ailleurs se demander si on n’assiste pas, à l’heure actuelle, à une telle manifestation, au profit des caquistes et des libéraux et au détriment des péquistes et des solidaires.
Même en reconnaissant que les sondages peuvent être des outils de la démocratie, il convient d’insister sur le fait que l’esprit critique, en la matière, s’impose. Que vaut, en effet, un sondage comme celui que l’Institut économique de Montréal a commandé à Léger, en janvier 2018, et qui demandait aux répondants s’ils trouvaient qu’ils payaient trop, juste assez ou pas assez d’impôts? L’exercice, dans ce cas, relève de la pure propagande.
Sans surprise, 67 % des répondants ont dit payer trop d’impôt. Un mois plus tard, un sondage Repère communication, lui aussi imparfait et commandé par le PQ, concluait que 74 % des répondants préféraient des réinvestissements dans les services publics aux baisses d’impôt ! Alors, pour qui voterez-vous?