Adieux officiels et fins plus ou moins finales
Les barouds d’honneur des vétérans de la musique populaire se multiplient, alors que les artistes plus jeunes se réfugient dans les festivals
Drôle d’époque, drôle de saison. Ça s’appelle le Fare Thee Well Tour 2018. Entendez: la tournée qui ramènera en septembre la grandissime Joan Baez à Montréal sera très nommément la dernière. Ce sera aussi la der des ders pour Elton John, dont la promenade sur le Yellow Brick Road début octobre affiche un titre sans équivoque : Final Tour.
Messieurs Brian Wilson et Paul McCartney, légendes non seulement vivantes mais vivaces de l’histoire de la musique populaire, nous reviendront également, le premier avec un Greatest Hits Tour qui dit bien ce qu’il dit, le second avec un Freshen Up Tour qui défie l’âge avançant : l’incroyable Paulie fera encore ses trois heures sans boire une goutte d’eau, et nous en serons encore une fois beatlemaniaquement heureux. Pas sûr qu’on le revoie, cependant: la fois d’avant, c’était en 2011, notre svelte végétarien a maintenant 76 ans, faites le calcul.
Mais ne présumons pas de la longévité de nos artistes bien-aimés. Gilles Vigneault aura mis le pied (qu’il a bon, comme l’oeil) dans sa neuvième décennie quand on aura le bonheur de vivre en sa compagnie l’intime rencontre intitulée «Parole et musiques» en octobre à la Cinquième salle de la PdA. D’un an son cadet, Hugues Aufray, beau barbu du folksong à franges, promet d’entonner Santiano d’une voix forte lorsqu’il sera le «Visiteur d’un soir» à la Maison symphonique, fin novembre.
Survivants
N’empêche. La saison des récoltes, c’est le moins que l’on puisse dire, sent la fin des haricots. Annoncées comme telles ou pas, moult visites de vétérans groupes et chanteurs seront selon toute probabilité des adieux. Soulignons par exemple le passage à Montréal de Judas Priest, qui se fera sans Glenn Tipton, affligé de la maladie de Parkinson.
Renchérissons avec Phil Collins, qui ne peut plus jouer de la batterie mais qui reprend néanmoins du service au micro (fiston officiera derrière les peaux). Tapons sur le clou en mentionnant la soirée au Club Soda du Carl Palmer ELP Legacy, où le batteur est le seul survivant du groupe prog qui attira il y a quatre décennies un plein Stade olympique de fans extatiques.
Dans le même registre, le retour inespéré de Gong avec Steve Hillage n’aura pas lieu vingt fois: précipitezvous en novembre au même Soda, c’est l’occasion ou jamais. Pareil pour les férus de punk: les rendez-vous avec Violent Femmes et Public Image Limited pourraient être des barouds d’honneur.
Revenants
Revenants éternels, les Roger Hodgson et Chris de Burgh fouleront également nos planches. Les survivants du groupe Chicago itou. Ajoutons la «soirée avec Simple Minds » au MTelus ou la bringue «Lost 80’s Live» à la Place Bell de Laval (incluant A Flock Of Seagulls, Men Without Hats, Wang Chung et assimilés), et la revoyure de Boy George et son Culture Club : le circuit de la perpétuation est de plus en plus embouteillé.
Curieusement, tous ces artistes condamnés à regarder dans le rétroviseur me semblent bien plus vieux qu’un Steve Earle, certes septuagénaire,
lequel n’est surtout pas un «nostalgia act», comme on dit chez les promoteurs: son plus récent album So You Wannabe an Outlaw en est la puissante démonstration. Ce baroudeur impénitent est de la race des Neil Young: quand il se produira au MTelus avec ses Dukes, ce sera pour jouer très intensément au présent.
Ah oui, il y aura aussi l’opéra rock
Notre-Dame de Paris, dont on voudrait bien faire l’événement de la saison. Ce n’est jamais qu’une reprise, qui accuse son âge. Ça lui fait combien de printemps, au fait, à cet intemporel Victor Hugo? À peine 216 ans. À eux trois, les Luc Plamondon, Richard Cocciante et Gilles Maheu n’atteignent pas ce chiffre vénérable (214 au total). C’est la cathédrale elle-même qui les bat tous: à 855 printemps, on peut penser que les vieilles pierres vont continuer d’enterrer tout le monde.
Aspirants
Bien sûr qu’il y aura des jeunes et presque jeunes artistes à l’affiche dans les mois qui viennent : impossible de ne pas constater que ce sont surtout les festivals qui nous les proposeront: Mile Ex End (Eddy de Pretto, Hubert Lenoir, Helena Deland), Pop Montréal (Lydia Képinski, Socalled, Zola Jesus, SOPHIE, parmi plusieurs dizaines d’autres) et Coup de coeur francophone (le mystérieux spectacle de Philippe B & The Alphabet, notamment).
C’est quand même dire que les artistes consacrés, à l’auditoire fidélisé, sont de plus en plus les seuls qui peuvent, sans le concours d’événements annuels, prendre le risque de se produire dans de grandes salles. Oui, les Koriass, Coeur de pirate, Éric Lapointe et Safia Nolin présenteront des premières montréalaises, mais l’idée même d’une première devient de plus en plus ruineuse, et l’on parle plus souvent maintenant de lancement-spectacle.
Que toutes ces considérations n’enlèvent rien au plaisir, qu’il s’agisse de Wanda Jackson à Pop Montréal autant que de Drake ou Gorillaz au Centre Bell, Jack White à la Place Bell de Laval ou Christine & The Queens au MTelus, voire Brigitte Boisjoli chantant Plamondon à Maisonneuve: on peut ravir ou décevoir à tous âges, et vos préférés ne sont pas nécessairement les miens. Nous vivons néanmoins une fin d’époque, laquelle s’étalera sur une bonne quinzaine d’années encore: les idoles, héros, champions du baby-boom ont la vie dure. Et souvent un feu sacré inextinguible.