Quand la télé traditionnelle s’offre une cure de jeunesse
Qui sont ces scénaristes sondant l’âme des adolescents et jeunes adultes ?
Lorsqu’ils arrivent à l’adolescence, les téléspectateurs se désintéressent de la télé traditionnelle, ne trouvant aucun écho de leur réalité dans ce que les grandes chaînes proposent. À l’instar des plateformes numériques américaines, généreuses en matière de teen dramas, la télévision québécoise n’a d’autre choix que d’étoffer sa programmation en séduisant sa clientèle de demain.
Cet automne, quatre séries, dont deux déjà offertes sur Illico et sur Tou.tv, mettant en scène des adolescents et de jeunes adultes débarquent sur TVA, Vrak, Radio-Canada et Super Écran.
Blogueuse, romancière et scénariste, Sarah-Maude Beauchesne carbure aux séries et aux films pour adolescents. Grande fan de Gilmore Girls, Gossip Girls et The O.C., l’auteure millénariale communique régulièrement avec les jeunes par les réseaux sociaux. C’est donc sans surprise que sa première série se déroule dans une école secondaire.
Réalisée par Marie-Claude Boutin (Le chalet), L’Académie se concentre sur l’amitié de trois filles en cinquième secondaire, Agathe (Léa Roy), Marie (Juliette Gosselin) et Wendy (Sabrina Bégin Tejeda), qui, désillusionnées par l’amour, font le pacte de rayer les garçons de leur existence. Or, la directrice de l’Académie (Pascale Bussières) annonce peu après que les garçons y seront désormais admis…
« Ma vision de scénariste, c’est de mettre au coeur de mes histoires la force des personnages féminins. Je veux que les filles soient des vraies filles avec des vraies questions, qu’elles ne soient pas superficielles et, si elles le sont, qu’elles se posent des questions, qu’elles ne soient pas des pâles copies de femmes », explique la scénariste, qui a fait ses classes en collaborant à la série Le chalet.
L’amour à mort
Jeune, Stéphane Lapointe rêvait d’être adulte et ne s’intéressait pas particulièrement aux productions pour adolescents, hormis les films de John Hugues, tel Breakfast Club. Ne se classant pas dans la catégorie «adulescent», le scénariste-réalisateur ne pensait pas spécifiquement à un jeune public alors qu’il concevait La malédiction de Jonathan Plourde, « thriller romantique surnaturel ».
«C’est une série de genre qui va beaucoup intéresser les ados, mais aussi les adultes. Je l’ai écrite en pensant à un public large, pour faire plaisir à mes amis et me faire plaisir. Je voulais que ça me ressemble. Je ne voulais pas être gnangnan ni ajouter des trucs pour faire ado. Il y a quelque chose de Mr. Robot, mais en moins compliqué», dit celui qui écrit pour la première fois pour un jeune public.
Chaque fois que Jonathan (FélixAntoine Plourde) tombe amoureux, sa nouvelle flamme meurt. Avec son meilleur ami (Simon Lacroix) et sa nouvelle collègue (Laetitia Isambert), il tentera de mettre fin à cette malédiction.
Réalisé par Martin Cadotte (Toi et moi), La malédiction de Jonathan Plourde bénéficie des plumes de Stéphane Lapointe, aussi script-éditeur, Marie-Sissi Labrèche, Pierre-Marc Drouin et Philip Rodrigue.
Changer le regard des gens
Avec les séries Tactik, Ramdam et KifKif au compteur, Martine D’Anjou est passée maître dans l’art d’écrire pour les jeunes. Pour Clash, où elle raconte le quotidien de jeunes en centre de réhabilitation, elle a mis à profit une expérience très personnelle.
L’an dernier, à trois jours de son départ pour l’Écosse, elle s’est blessée en faisant de l’équitation. Contrainte de faire le voyage en fauteuil roulant, elle a découvert que le regard des autres n’était pas toujours empreint d’empathie.
« Clash va enlever ce malaise dans le regard, croit Martine D’Anjou. C’est du monde comme tout le monde. Si je n’avais pas vécu cet accident-là, je n’aurais pas été aussi allumée sur cet aspect-là. À cet âge-là, le regard des autres est très important, c’est un défi d’explorer ça. »
Quotidienne réalisée par Simon Barrette (District 31), Clash met en vedette Alexandre Nachi, Alex Godbout et Ludivine Reding.
Du sport et des hommes
Dix ans après Tout est parfait, où ils traitaient du suicide, le scénariste Guillaume Vigneault et le réalisateur YvesChristian Fournier se sont retrouvés pour donner vie au récit sur lequel le premier planchait depuis six ans.
Campé à Montferrand (ville fictive), Demain des hommes s’intéresse aux amitiés et rivalités de joueurs
d’une équipe de hockey junior, coachée par l’ex-entraîneur d’un club professionnel (Émile Proulx-Cloutier), qui rêvent de la LNH. Antoine Pilon, Joey Scarpelino et Alexandre Bourgeois sont de la partie.
« Je me suis amusé avec des sortes d’archétypes, après ça, il faut les incarner, mettre de la chair autour de l’os, explique le scénariste qui cite la série Friday Night Lights parmi ses sources d’inspiration. Je ne fais pas évoluer des personnages de carton pour mes propres fins. Je les découvre à mesure que je les écris; mon secret pour être authentique, c’est d’être fair avec tout le monde, même avec les méchants, qui ne le sont pas de leur point de vue. »
De l’authenticité
De l’avis de Sarah-Maude Beauchesne, le public adolescent est ouvert d’esprit, prêt à suivre l’auteur dans ses récits, ses fantaisies, tant que le premier sent que le second le fait avec sincérité et authenticité.
«C’est pour ça que j’aime tellement écrire pour eux ! s’exclame la scénariste de L’Académie, qui planche sur l’adaptation cinématographique de son roman Coeur de slush. Les ados n’ont pas le regard critique que les adultes ont trop souvent. Je pense souvent à moi quand j’écris parce que je suis un hybride entre l’ado et l’adulte. Je n’écris pas pour l’ado typique, caricatural. Un ado parle comme moi, comprend les mêmes choses que moi. Ce n’est pas une catégorie de personnes qu’on prend par la main. »
Stéphane Lapointe, qui s’avoue touché par les récits d’apprentissage, abonde dans le même sens. «J’aime bien aller jouer dans l’humour, mais aussi dans la peur. Les ados n’ont pas peur d’aller dans des trucs assez scary. Quand on y va, on y va! Il y a aussi un côté bon enfant, beaucoup d’humour, malgré le côté dark, un peu «buffyesque»», dévoile-t-il, en laissant entendre qu’il est ouvert à une deuxième saison de La malédiction de Jonathan Plourde.
À l’instar de Sarah-Maude Beauchesne, Martine D’Anjou, mère de deux vingtenaires, garde un contact avec les ados afin de demeurer connectée sur leur univers.
«J’ai gardé la spontanéité de l’adolescence, l’intensité des émotions. Il n’y a pas d’inhibitions à cet âge-là, il n’y a pas encore eu de désillusion. J’écris en partant de cet espace-là en moi. Avec des chaînes comme Netflix, les ados ont vu beaucoup de choses, mais ce n’est pas tant les effets spéciaux qui les attirent, il faut que ça les prenne émotivement», confie l’auteure de Clash.
Boulimique de télé, Guillaume Vigneault connaît bien les codes et pourrait se contenter de les appliquer mécaniquement, mais ce serait aller contre nature.
«Il y a quinze ans, Christian Mistral, citant Bukowski, me disait qu’un auteur, c’est quelqu’un qui a un “bullshit detector”. J’aime cette idéelà, et ça vaut pour toutes les sortes d’écriture. Des dialogues, de la prose, de la poésie pas honnête, il n’y a rien de plus inutile dans la vie!» croit l’auteur de Demain des hommes, qui prépare déjà la deuxième saison.
«L’authenticité est importante. À cet âge-là, les ados critiquent beaucoup l’autorité. Les leçons de morale les agacent. Mon but n’est pas de leur passer un message, mais de leur montrer une histoire où les émotions sont vraies, où ils se reconnaissent dans les situations, où la réaction des personnages est authentique. Dans chaque scène, chaque personnage, il faut que je trouve la place où je suis intimement interpellée. Si je ne le fais pas, ce ne sera pas vrai, ça ne marchera pas», conclut Martine D’Anjou.
L’Académie – Saison 1
Club Illico, TVA, mardi, 19h30 (dès le 2 octobre)
L’Académie – Saison 2 Club Illico, dès le 11 octobre
Clash
Vrak, du lundi au jeudi, 19h30 (dès le 5 novembre)
Demain des hommes
Tou.tv, Radio-Canada, lundi 20 h (dès le 10 septembre)
La malédiction de Jonathan Plourde Super Écran, automne 2018
Vrak, automne 2019