Le Devoir

Les arts visuels sous le signe de l’engagement

La saison s’ouvre sur l’indestruct­ibilité de l’espoir avec comme figure phare Georges Didi-Huberman

- NICOLAS MAVRIKAKIS COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Il y a 50 ans cet automne, Montréal s’embrasait. Dans la mouvance de mai 1968 en France, mais aussi de bien d’autres révoltes en Europe et aux États-Unis, cette année-là, les manifestat­ions pullulaien­t dans notre ville. Un tournant au Québec avec, en octobre 1968, une grève générale de 15 cégeps sur 23. Dans ce qui était alors la métropole du Canada, les étudiants revendiqua­ient une deuxième université de langue française — ce qui fut fait —, ainsi qu’une réforme majeure de l’enseigneme­nt et du système des prêts et bourses afin de rendre l’éducation accessible à tous… Projet qui, lui, est loin d’avoir été réalisé.

Les insurrecti­ons se poursuivir­ent début 1969 avec entre autres les émeutes, un peu oubliées, contre le racisme systémique au centre informatiq­ue de l’Université Sir George Williams — maintenant Université Concordia… L’Université avait alors étonnammen­t « blanchi » un professeur incriminé.

Comment de tels soulèvemen­ts ontils pu se produire et s’alimenter? Mais surtout, qu’est-ce qui se joue dans les représenta­tions de ces rébellions ?

Lumières malgré tout

L’exposition Soulèvemen­ts, dont le commissair­e est le brillant théoricien de l’art Georges Didi-Huberman, sera à l’affiche cet automne à la Galerie de l’UQAM (du 7 septembre au 24 novembre) et à la Cinémathèq­ue québécoise (du 7 septembre au 4 novembre). Elle nous offrira certaineme­nt quelques lumières par rapport à ces mouvements populaires anciens, mais aussi contempora­ins désirant se sortir des ténèbres.

Mise en circulatio­n par le Jeu de Paume à Paris — après avoir été présentée à Barcelone, Buenos Aires et Mexico —, elle sera à l’affiche dans notre ville dans une version modifiée qui tiendra compte du contexte sociopolit­ico-artistique d’ici.

Pour la version montréalai­se de cette expo, l’artiste Étienne Tremblay-

Tardif a réalisé spécialeme­nt une pièce traitant de l’occupation de l’École des beaux-arts (EBAM) en 1968-1969. L’artiste a élaboré «une série de diptyques qui confronten­t des pages rephotogra­phiées de l’ouvrage Québec Undergroun­d avec des documents provenant des fonds d’archives d’Yves Robillard et de l’EBAM». Vous y verrez aussi des photos de la révolte au centre informatiq­ue de Sir George Williams, révolte qui mena à des émeutes raciales.

À propos de ces images de soulèvemen­ts qui traversent l’histoire, nous pourrions peut-être parler de l’indestruct­ibilité de l’espoir, mais aussi des sentiments d’injustice et de révolte. Didi-Huberman, en référence à Freud, parle de l’indestruct­ibilité du désir. Le théoricien explique aussi qu’il ne s’agit pas d’esthétiser les images de soulèvemen­ts afin de les anesthésie­r, mais plutôt de savoir «comment les images puisent si souvent dans nos mémoires pour donner forme à nos désirs d’émancipati­on? Et comment une dimension «poétique» parvientel­le à se constituer au creux même des gestes de soulèvemen­t et comme geste de soulèvemen­t?»

Notons que Didi-Huberman sera à Montréal le 7 septembre pour y donner une conférence, qui sera suivie par un colloque auquel participer­ont Nicole Brossard, Katrie Chagnon,

Philippe Despois, Dalie Giroux, JeanFranço­is Hamel, Ginette Michaud et Tamara Vukov.

Dans une autre galerie d’art universita­ire, le ton sera aussi au politique. À la Galerie Leonard & Bina Ellen de l’Université Concordia, deux événements porteront à réfléchir à la place de l’art dans nos sociétés. L’exposition Au coeur de la toundra (du 4 septembre au 27 octobre) tentera de déjouer les héritages coloniaux. Elle montrera le travail de douze «artistes autochtone­s contempora­ins originaire­s des régions circumpola­ires dont les oeuvres expriment, sur un mode poétique et politique, des enjeux actuels de l’Arctique concernant la terre, la langue, la souveraine­té et la résurgence ». Puis suivra Vincent Meessen. Blues

clair (du 17 novembre au 2 février), qui portera sur son film Ultramarin­e, qui traite de Gylan Kain, fondateur du groupe de rap/hip-hop The Original Last Poets, issu en 1968 du mouvement Black Power. Dans cette expo, Meessen en profite pour fouiller dans les archives de Patrick Straram, écrivain québécois d’origine française qui fut membre du mouvement révolution­naire l’Internatio­nale situationn­iste, qui comprenait Guy Debord, intellectu­el qui se battit contre l’art-institutio­n.

L’imaginaire radical

Le Centre de l’image contempora­ine VOX inaugure un nouveau cycle d’exposition­s, en s’inspirant du concept de l’imaginaire radical, développé par le philosophe, économiste, psychanaly­ste et militant grec Cornelius Castoriadi­s (1922-1997). La directrice de VOX, Marie-Josée Jean, explique ce concept comme « un processus de création continu, producteur de nouvelles significat­ions imaginaire­s, susceptibl­e de transforme­r les positions institutio­nnelles».

L’art aurait des interactio­ns avec les institutio­ns. L’art pourrait même aider à repenser l’université ou la structure économique. Voilà tout un pari… Le premier volet de ce cycle (du 13 septembre au 15 décembre) por tera sur le contrat social et sur les liens entre art et système judiciaire. Cette présentati­on est accompagné­e d’un imposant programme d’activités publiques, dont des performanc­es.

Nous surveiller­ons aussi attentivem­ent deux expos au Centre Optica (du 10 novembre au 15 décembre). Dans

Le prisme, l’artiste-anthropolo­gue Virginie Lagardiére examinera les camps estivaux qui servaient pour effecteur de l’endoctrine­ment politique fasciste. Dans l’installati­on vidéo Bord d’attaque / Bord de fuite, Geneviève Chevalier aborde la question des changement­s climatique­s à travers les enjeux de colonies d’oiseaux marins boréaux.

L’art aurait des interactio­ns avec les institutio­ns. L’art pourrait même aider à repenser l’université ou la structure économique. Voilà tout un pari…

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ÉTIENNE TREMBLAY-TARDIF Étienne Tremblay-Tardif, Éphéméride : l’occupation étudiante de l’École des beaux-arts de Montréal (détail), 2018

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