Le Devoir

Joséphine, un joli nouveau venu rue Saint-Denis

- JEAN-PHILIPPE TASTET COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Ce très joli Joséphine récemment ouvert rue Saint-Denis est l’exemple parfait — digne de figurer au programme de travaux pratiques de l’ITHQ — de ce qu’un excellent service peut faire. Plus que le décor et presque autant que la cuisine, le service peut en effet ruiner une soirée ou l’embellir et ainsi contribuer à laisser un agréable souvenir. Cette fois-ci, l’embellisse­ment a eu lieu chez Joséphine.

Ce restaurant a pris la place du Continenta­l qui, pendant des lustres, a fait la joie des noctambule­s noceurs. Le soir de notre visite, la plupart des clientes et des clients auraient d’ailleurs pu avoir été conçus au terme d’une de ces soirées au Conti se terminant jadis dans l’ébouriffag­e. Notre table, par contre, faisait grimper la moyenne d’âge générale de façon marquée. Nous sommes jeunes, mais surtout de coeur, d’esprit et de papilles.

La designer Amlyne Philipps a réussi à créer ici un décor si achevé que l’on en oublie facilement celui pourtant très affirmé de l’ancien lieu de perditions, culinaires et autres. Beaucoup de lumière, un accent accordé à la clarté des éléments et, accessoire­ment, des chaises qu’on ne quitte pas avec un tour de reins. Le décor de Joséphine est joyeux et réjouissan­t.

Côté service

Le service, assuré ce soir-là par Étienne et Joanie, aura donc contribué au plaisir d’avoir choisi cette adresse pour nos festivités du vendredi. Il aura également permis de rattraper quelques couacs qui auraient autrement pu se changer en désagrémen­ts menant à une critique acidulée.

Par exemple, attendre 45 minutes avant de recevoir quoi que ce soit à se mettre sous la dent ne contribue pas à mettre de la bonne humeur à une table. Se faire annoncer à plusieurs reprises que les plats choisis ne sont plus disponible­s ne constitue pas non plus une source de réjouissan­ces: la dorade commandée par Jean-Pierre avait disparu et un vivaneau la remplaçait; la morue, plat du jour suggéré à Hélène, s’était métamorpho­sée en turbot (qui par ailleurs avait bâfré en chemin le pain grillé prévu dans l’énoncé). Recevoir une viande saignante alors que l’on a bien spécifié «bleue». Remarquer que les éléments d’une assiette qui apparaissa­ient au menu se sont perdus en chemin. Tous ces petits irritants sont fâcheux.

Rendus au dessert, on a arrêté de choisir et on s’est dit qu’on prendrait ce qu’ils nous apporterai­ent. Ça tombait bien puisque effectivem­ent le troisième dessert sur lequel nous avions salivé en lecture initiale avait cédé sa place à un truc à la fraise, plutôt mignon. Mais vous savez comment la nature humaine est faite: une fois que l’on a fantasmé sur un « parfait glacé citron, crème chiboust, mandarine au yuzu», le truc de substituti­on a beau être mignon, on est forcément déçus.

Cela dit, en plus de la qualité du service, à peu près tout ce qui était dans les assiettes était délicieux et préparé avec soin. À la sortie du restaurant, nous étions quatre à conclure que nous pourrions revenir souper chez Joséphine car, une fois remis de la magie des plats disparus, tout le monde s’était délecté.

Parmi les entrées retenues, une mention spéciale à ce tartare de pétoncles enjolivé de deux petits bandeaux de concombre mariné enroulés, le tout semblant flotter dans une eau de concombre très légère; un peu de gingembre confit et de jalapeño dynamisait l’assiette avec subtilité. Une pincée de caviar de mulet complétait le tableau en ajoutant un peu de couleur.

Mêmes applaudiss­ements pour la pieuvre impeccable­ment grillée, tendre et ayant conservé toutes ses saveurs, subtils rappels maritimes. À défaut d’ajouter à l’esthétique de l’assiette, la purée d’aubergine noircie à l’encre de seiche et l’huile parfumée de harissa jouent un rôle intéressan­t en renforçant le goût de la pieuvre. Posé en tas en bordure d’assiette, le dukkah, non moulu, aurait requis quelques explicatio­ns afin de comprendre comment l’utiliser au mieux.

La purée de pomme de terre qui accompagna­it mon contre-filet trop cuit était délicieuse­ment robuchonne­sque et les quelques haricots verts étaient al dente, comme il se doit à cette saison. Un os, tronçonné dans la longueur selon la mode actuelle, contenait une généreuse quantité de moelle bien cuite.

Pour l’ensemble des assiettes servies ce soir-là, les portions étaient généreuses; à notre table comme aux tables voisines, détail qui n’en est pas un, croyez-moi. Mme B. s’est donc retrouvée avec un rondelet demi-poulet de Cornouaill­es, accompagné de quatre énormes palourdes. Chair tendre, cuisson parfaite. Une délicieuse sauce fleurant la bisque servait de lit douillet au tout.

Le financier au sarrasin était succulent. La compote de rhubarbe annoncée était plutôt de la rhubarbe confite présentée en petits segments délicieux. Espuma yogourt et rose ainsi que tuile de meringue en éclats complétaie­nt harmonieus­ement le tout.

J’aborde rarement le chapitre boissons, mais ici la bonne surprise a été totale. Le vin très judicieuse­ment suggéré ce soir-là par Joanie — Les Entêtés, 2017, Domaine du Nival — était aussi impression­nant (un pinot noir québécois venu des berges de la Yamaska) que gouleyant.

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