Le Devoir

Des classes sans professeur

D’année en année, l’histoire se répète : la rentrée met en lumière le manque de personnel enseignant. Pourquoi ?

- MARIE-HÉLÈNE ALARIE Collaborat­ion spéciale

L’an dernier, au premier jour d’école à la Commission scolaire de Montréal (CSM), 70 classes se retrouvaie­nt sans titulaire. «Et cette année, ça risque d’ être encore assez important », est convaincue Catherine Renaud, présidente du CA de l’Alliance des professeur­es et professeur­s de Montréal. Pour l’instant, dans les écoles primaires et secondaire­s, plusieurs postes sont encore à pourvoir. Des postes de professeur titulaire, d’autres en adaptation scolaire, ainsi que dans les classes d’accueil, où il va manquer d’enseignant­s en soutien linguistiq­ue.

Le phénomène ne date pas d’hier. «Traditionn­elle ment, il manque d’enseignant­s en adaptation scolaire parce que les besoins sont criants à la CSM, explique Catherine Renaud. On y trouve de nombreux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentiss­age. On parle d’un élève sur cinq au primaire, et le chiffre passe à un sur trois au secondaire, et certains de ces élèves devront être dirigés vers des classes spécialisé­es. »

Depuis quelques années, le phénomène prend de l’ampleur, et principale­ment au primaire, où l’on manque de titulaires et de professeur­s en classes d’accueil. «Les compressio­ns ont joué un rôle important dans cette pénurie, mais aussi les conditions d’enseigneme­nt, qui sont de plus en plus difficiles», se désole la présidente. Cela s’explique selon elle par l’intégratio­n de plus en plus fréquente d’élèves en difficulté dans les classes ordinaires: «Il n’est pas rare que, dans une classe ordinaire, plus de la moitié des élèves se trouvent en difficulté, continue Catherine Renaud. Ça représente une surcharge de travail, et on demande aux professeur­s de réaliser la tâche presque impossible de faire réussir tous ces élèves dans les délais prévus.»

Le phénomène s’explique en partie par la difficulté de recruter de nouveaux enseignant­s. En effet, depuis les cinq dernières années, on constate une baisse du nombre d’inscriptio­ns en faculté d’éducation. La profession n’attire plus comme avant : « Et une fois en poste, ils se heurtent à une dure réalité!» regrette la présidente.

« La rentrée, ce n’est pas jojo pour les professeur­s, et il y aura sans doute certains collègues qui seront en congé de maladie», continue Mme Renaud. Elle affirme recevoir régulièrem­ent des appels de détresse de la part de professeur­s pour qui la seule solution est de se mettre en congé de maladie.

Si le décrochage des jeunes enseignant­s est largement documenté, on parle moins souvent de celui des professeur­s d’expérience. «On rencontre des professeur­s avec cinq, dix, quinze, vingt ans d’expérience qui voient leur situation se dégrader et qui sont témoins du manque de services offerts aux élèves, soulève Mme Renaud. Ils sont placés devant des situations éthiques complexes. Le système est malade et mal financé, et même si on réinvestit ce qui a été coupé, la situation ne reviendra pas à la normale avant 2028, selon les annonces budgétaire­s du ministère. Il n’y a rien d’encouragea­nt dans tout ça. »

D’autres défis de taille

La CSM doit aussi faire face à un autre défi: son parc immobilier est dans un état de délabremen­t parfois avancé. On se souvient que certaines écoles ont même dû être reconstrui­tes et des projets de réhabilita­tion sont toujours en cours. «S’il y a eu un travail important qui a été fait par la CSM pour déceler les différente­s sources de problèmes, il faut maintenant obtenir l’argent nécessaire pour intervenir et accomplir les travaux», déclare Catherine Renaud.

«On sent que notre travail dans l’école publique est dévalorisé parce que l’école publique elle-même est dévalorisé­e, conclut Catherine Renaud. Dans l’ombre de la campagne électorale qui s’amorce, aucun parti n’a encore affirmé qu’on doit choisir l’école publique et qu’on doit cesser le financemen­t des écoles privées. Est-ce qu’on va finir par le choisir, ce projet qu’on s’est donné il y a cinquante ans grâce à Paul Gérin-Lajoie ? Est-ce qu’on va se l’approprier, ou est-ce qu’on va le laisser aller? Ça va venir, je l’espère ! »

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BERTRAND LANGLOIS AGENCE FRANCE-PRESSE Depuis quelques années, le phénomène de classe sans professeur prend de l’ampleur, et principale­ment au primaire.

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