Le Devoir

Macdonald et l’air du temps

- Denis de Belleval

Fonctionna­ire, administra­teur, ancien ministre du Parti québécois

Aux États-Unis, une vague d’iconoclast­ie a entraîné le déboulonna­ge de nombre de statues des généraux confédérés. C’est au tour du Canada et du Québec d’en connaître des épisodes, où la repentance de nos fautes réelles ou imaginées envers les premiers habitants sert de bougie d’allumage. Après Amherst, à Montréal, coupable d’avoir songé à distribuer des draps et couverture­s infectés aux aborigènes, le nom de Langevin a été effacé de la toponymie des édifices fédéraux à Ottawa pour cause d’associatio­n à l’organisati­on des pensionnat­s autochtone­s.

C’est maintenant au tour de Macdonald, rien de moins que « père » de la Confédérat­ion canadienne et premier ministre organisate­ur de la course à la colonisati­on massive de l’Ouest (ce qui a ainsi sauvé cette région de son appropriat­ion par les États-Unis), de connaître sa première descente du piédestal, en Colombie-Britanniqu­e. À Ottawa, c’est ni vu ni connu. Le nom de Langevin, ce pelé, ce galeux, ce misérable Canadien français, sous-fifre de Macdonald, peut bien être effacé, mais enlever la statue de John A. des pelouses du parlement fédéral ?

Quel est donc le crime de Macdonald ? Pas grand-chose, ou sinon des choses normales, paraît-il, à l’époque : débarrasse­r l’Ouest des Métis et des Indiens en les dépossédan­t de leurs terres pour les donner à d’autres, des Blancs purs, en leur faisant la guerre, en pendant un de leurs chefs, Riel, en parquant les uns dans des réserves, en laissant délibéréme­nt mourir de faim et de maladie les autres, puis en enlevant les enfants indigènes à leurs parents pour les confier à des institutio­ns religieuse­s, où bon nombre ont été maltraités.

La cause est entendue, me direzvous, puisque ces ignominies sont avérées. Pas du tout ! Il faut, diton, se replacer dans l’air du temps, où l’esclavage des Noirs et le génocide des Indiens étaient coutumiers, voire approuvés par les Églises, tant qu’ils ne concernaie­nt pas des chrétiens.

Sauf que cette excuse commode ne tient pas la route !

Dans l’Empire espagnol, dès le XVIe siècle, des prêtres — Antonio de Montesinos et Bartolomé de las Casas, lui-même ancien colon — dénoncent les exactions de Colomb et de ses successeur­s, et défendent les droits fondamenta­ux des Amérindien­s. Ils ne sont pas les seuls. Des militaires et des fonctionna­ires reviennent choqués et traumatisé­s de leur expérience dans le Nouveau Monde et en font part.

Las Casas finira par convaincre Charles Quint : des « lois nouvelles » sont rédigées en 1542, qui proclament la liberté inhérente des Indiens en toutes choses.

Dès 1546, devant la révolte des colons, ces lois sont abrogées. Un peu partout en Europe, l’opinion éclairée est révulsée par les mauvais traitement­s infligés aux Indiens d’Amérique. La mauvaise conscience de beaucoup d’hommes d’Église et d’administra­teurs envers le servage conduira à des ordonnance­s royales qui interdiron­t, au début du XVIIe siècle, la conquête par la force du Paraguay et accorderon­t les

Alors, que faire des statues de Macdonald ? Je ne sais, mais cessons de recourir à l’air du temps ancien pour excuser l’inexcusabl­e.

pleins droits aux indigènes. Les jésuites y fonderont ensuite leur fameuse Réduction, État-providence avant la lettre, qui sera ensuite parfois injustemen­t décriée comme une théocratie obscuranti­ste.

Henri IV, à la même époque, donnera instructio­n à Dugua de Mons de traiter les indigènes avec humanité et témoignage­s d’amitié, instructio­ns suivies ensuite par Champlain.

Je pourrais reprendre la même argumentat­ion concernant l’esclavage des Noirs et les objections anciennes et répétées à son instaurati­on et les appels incessants à son abolition.

Mon propos vise simplement à mettre en doute la légitimité de cette mise en contexte facile qui tend à disculper les auteurs d’entreprise­s cupides et criminelle­s anciennes en invoquant la prétendue culture d’époques révolues.

En outre, ces époques ne sont justement pas révolues du tout, et des entreprise­s analogues se sont poursuivie­s tout au long du XXe siècle et du XXIe naissant, entraînant les mêmes objections, croisades, tentatives de rédemption ou de dissimulat­ion et excuses maladroite­s qu’aux siècles précédents.

Prenons simplement l’exemple récent de l’invasion de l’Irak par les États-Unis et ses séquelles catastroph­iques, alors que toute l’élite de ce pays, notamment ses principaux journaux, a encouragé cette aventure tragique et criminelle, illégale selon le droit internatio­nal. G. W. Bush doit-il être excusé en vertu du quasi-unanimisme au sein de son pays ?

Alors, que faire des statues de Macdonald ? Je ne sais, mais cessons de recourir à l’air du temps ancien pour excuser l’inexcusabl­e. Et cessons ces repentance­s s’il n’y a pas de coupable.

Enseignons l’histoire !

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