Le Devoir

Des voix à la défense du Festival des films du monde

- JÉRÔME DELGADO

Beaucoup de festivals ne prennent pas de risques. Ça leur prend des films vus ailleurs. Ou alors, on doit se présenter avec un distribute­ur. Plus facile pour la gestion et moins risqué [de ne pas attirer de public]. NILS OLIVETO

Jugé moribond, le Festival des films du monde (FFM), malgré sa réputation ternie, séduit encore les cinéastes. Des Québécois y participen­t, avec bonheur et espoir même, convaincus qu’une organisati­on déficiente n’entache pas leur propre image.

Qu’ils soient rassurés : en cette 42e édition, la mauvaise qualité n’est pas au rendez-vous, selon l’expériment­é réalisateu­r chilien Silvio Caiozzi.

En 1999, sa première fiction a été élue, par plébiscite populaire, meilleur film chilien du XXe siècle. En 2016, presque rebelote : Julio comienza en julio (1979), lancé à la Quinzaine des réalisateu­rs du Festival de Cannes, pointe au 11e rang parmi les 50 meilleurs films chiliens de tous les temps, selon un panel de spécialist­es.

Bref, Silvio Caiozzi est entré dans l’histoire du cinéma de son pays à 35 ans. Et c’est cet homme arrivé au septième art par la voie de la direction photo qui tient la barre du jury du 42e FFM.

«Je suis surpris par la qualité de la compétitio­n, confie celui qui aura à juger 25 longs métrages et 14 courts. Je ne m’attendais pas à un tel niveau. »

De primé à juré

Depuis ses débuts, le natif de Santiago, au Chili, a couru les festivals du monde, de Venise à La Havane, de Huelva à Trieste. À Montréal, et plus précisémen­t au FFM, il a obtenu deux précieuses reconnaiss­ances : le prix de la meilleure réalisatio­n en 2000 pour Coronación et, l’an dernier, le Grand Prix des Amériques pour Y de pronto el amanecer (« Et tout à coup l’aube »), son sixième long métrage, seulement.

C’est en tant que dernier lauréat de la plus haute récompense du FFM que le festival l’a invité à revenir comme président du jury. Et il a accepté parce qu’il croit, lui, à la mission du directeur, Serge Losique.

Le constat de Caiozzi peut paraître sévère à l’égard des autres Berlinale et Mostra, qu’il ne nomme pas : le FFM est selon lui un des rares festivals à sélectionn­er ses films sur la seule base de leur qualité, l’un des seuls à travailler indépendam­ment d’Hollywood et des enjeux d’argent.

«J’ai l’impression, selon ce que je vois et ce qu’on me raconte, qu’un petit groupe contrôle la diffusion et la distributi­on du cinéma planétaire, accuse-til. Ce groupe n’appuie qu’un seul type de cinéma. Je n’ai pas la preuve, mais j’ai la sensation qu’à une autre époque, les grands festivals choisissai­ent des films dans une plus grande variété de genres. Aujourd’hui, on répète les mêmes thèmes. »

Soutenir le risque

Le FFM, dernier résistant ? À écouter Nils Oliveto, auteur de six longs métrages depuis 2010, ce serait le cas. Le cinéaste, acteur, producteur et analyste sportif présente cette année son premier titre à la sauce documentai­re, Icelander, à l’affiche le dernier dimanche du festival.

Cette quête autour de la disparitio­n de son propre père lui a assuré sa troisième présence au FFM. Une régularité qu’il s’explique ainsi : sa nature indépendan­te — il travaille sans subvention­s ni distribute­ur, réalise, scénarise et produit lui-même ses films — fait peur à bien des organisate­urs. Mais pas à l’équipe de Losique.

« Beaucoup de festivals ne prennent pas de risques. Ça leur prend des films vus ailleurs. Ou alors, on doit se présenter avec un distribute­ur. Plus facile pour la gestion et moins risqué [de ne pas attirer de public] », dénonce-t-il.

Avoir le soutien du FFM lui plaît, car il peut montrer ses films chez lui. Si la mauvaise réputation du festival lui ferme les portes d’une distributi­on locale, ce n’est pas le cas aux États-Unis, où il espère rencontrer des distribute­urs.

Sylvain Brosset a eu l’honneur dimanche de lancer son premier long métrage, Space on the corner. La fiction rassemble une pléthore de personnage­s dans un local commercial vacant de Côte-des-Neiges. D’origine française, établi au Québec depuis 2011, le cinéaste débutant croit lui aussi que l’image du FFM à l’étranger est encore intacte. Mais il ne s’en fait pas pour l’avenir de son film ici, convaincu qu’il percera le réseau des petites salles.

«Je connais les problèmes du FFM. Mais les organisate­urs font preuve d’une grande volonté de montrer des films différents, très particulie­rs. Ça, ça doit être soutenu », soutient Sylvain Brosset.

Silvio Caiozzi ne doute pas que sa carrière a bénéficié du sceau de classe A du FFM — une catégorie de grands festivals compétitif­s selon l’associatio­n internatio­nale FIAPF. Le Grand Prix des Amériques, assure-t-il, lui a ouvert les portes de festivals de moindre catégorie. Dans celui de Guadalajar­a, au Mexique, un distribute­ur a vu son film. « On a signé un contrat, mais il n’est pas encore distribué », dit-il.

Ce distribute­ur, fait-il noter, explore les « voies alternativ­es de diffusion », autrement dit Internet et le principe du paiement à la carte (pay per view). C’est l’espoir qui l’anime.

Pour M. Caiozzi, il est clair que le FFM et son modèle doivent survivre. Pour voir ce qu’on ne voit pas ailleurs. Sans ce festival, dit-il, on ne découvrira plus jamais les équivalent­s d’un Eliseo Subiela, réalisateu­r argentin primé au FFM, ou d’une production nationale peu connue, comme le cinéma iranien quand Montréal l’a pris sous son aile.

«On vit une époque sombre. Si tu ne fais pas une mauvaise copie de la même chose, tu n’as aucune chance », constate, à la fois amer et moqueur, le président du jury du 42e FFM.

 ?? MARIE-FRANCECOAL­LIER LE DEVOIR ?? Le réalisateu­r chilien Silvio Caiozzi estime que le FFM est un des rares festivals à sélectionn­er ses films sur la seule base de leur qualité, l’un des seuls à travailler indépendam­ment d’Hollywood et des enjeux d’argent.
MARIE-FRANCECOAL­LIER LE DEVOIR Le réalisateu­r chilien Silvio Caiozzi estime que le FFM est un des rares festivals à sélectionn­er ses films sur la seule base de leur qualité, l’un des seuls à travailler indépendam­ment d’Hollywood et des enjeux d’argent.

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