L’accord commercial entre le Mexique et les États-Unis met la pression sur Ottawa
L’annonce d’un accord commercial entre les États-Unis et le Mexique lance le Canada dans une course contre la montre afin d’en faire également partie, mais depuis une position de négociation peut-être affaiblie.
Le président américain a annoncé lundi à la presse la conclusion d’une « entente de principe » bilatérale entre son pays et son voisin mexicain dans le cadre de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain. Donald Trump a invité le troisième pays membre de l’ALENA, le Canada, à se joindre à la démarche, soit en signant un accord bilatéral avec les États-Unis, soit en s’intégrant à la nouvelle entente conclue avec le Mexique, sans quoi il s’exposera, notamment, à de nouveaux tarifs commerciaux estimés à 25 % dans le domaine de l’auto. « Mais d’une manière ou d’une autre, nous avons un accord avec le Canada : ce sera soit des tarifs douaniers sur les voitures, soit un accord négocié. Et franchement, la voie des tarifs serait beaucoup plus facile, mais peut-être l’autre voie serait meilleure pour le Canada », a déclaré Donald Trump dans le bureau ovale lors d’une téléconférence avec son homologue mexicain.
S’en tenant à la position défendue par Mexico et Ottawa depuis le début des négociations, le président Enrique Peña Nieto s’est aussi félicité de l’entente conclue avec les États-Unis, mais a répété au moins quatre fois qu’il souhaitait que tout cela débouche sur une entente à trois.
Exerçant un peu plus de pression encore, Donald Trump a répété tout le mal qu’il pense, entre autres, des tarifs du système canadien de gestion de l’offre dans le lait et a ajouté : « J’aime bien appeler cet accord : “l’Accord commercial États-Unis–Mexique”. Je trouve que c’est un nom élégant. »
Il a également fait savoir son intention de soumettre l’entente au Congrès dès ce vendredi, afin de respecter le délai d’examen de 90 jours et de permettre au président Peña Nieto de la signer officiellement avant de devoir laisser la place à son successeur et adversaire politique, Andrés Manuel López Obrador, le 1er décembre.
Le pouvoir de négocier d’Ottawa
À Ottawa, on se disait parfaitement en contrôle de la situation. Comme les discussions, depuis quelques semaines, portaient essentiellement sur une question qui opposait les États-Unis et le Mexique (les règles d’origine dans l’industrie automobile), le Canada avait décidé de se placer en retrait, mais en suivant le tout très attentivement, a-t-on répété. Le premier ministre Justin Trudeau s’était encore entretenu avec Enrique Peña Nieto, dimanche, puis avec Donald Trump lundi. Censée être en mission en Europe pour la semaine, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a changé ses plans et sera à Washington dès mardi pour reprendre les négociations à trois, a déclaré au Devoir son porte-parole, Adam Austen. Loin de se sentir pressée ou coincée par l’entente annoncée lundi, elle ne signera un accord que « s’il est avantageux pour le Canada et la classe moyenne », a-t-il martelé.
«Si l’objectif est d’arriver à une entente pour vendredi, c’est extrêmement court. Ça serait sans précédent. Surtout pour un accord d’une telle importance sur des enjeux aussi difficiles », observe Krzysztof Pelc, professeur de sciences politiques à l’Université McGill.
Le fait que le Mexique insiste sur une entente à trois pays confère au Canada un certain pouvoir de négociation face à Donald Trump, note l’expert en commerce international, d’autant plus que le mandat donné à la Maison-Blanche par le Congrès américain de négocier en son nom vise explicitement le renouvellement d’un accord à trois. « Je ne peux quand même pas m’empêcher de penser qu’Ottawa a perdu un certain pouvoir de négociation depuis six mois. Il n’aura pas le choix de faire des concessions. »
« L’accord [annoncé lundi] met beaucoup de pression sur le Canada. Trump et Peña Nieto ont l’air de dire que c’est à prendre ou à laisser », constate Richard Ouellet, professeur de droit international économique à l’Université Laval. D’un autre côté, « le Canada n’a jamais eu une équipe de négociation aussi forte. Je serais porté à croire qu’ils ont fait leurs devoirs. »
«La pression sur le Canada va être énorme », a reconnu à son tour le premier ministre québécois sortant, Philippe Couillard, avant de prévenir Ottawa qu’il s’opposerait à toute entente qui menacerait la gestion de l’offre dans le secteur agricole ou l’exception culturelle actuellement comprise dans l’ALENA.
Entente encore obscure
Les détails de l’entente intervenue entre les États-Unis et le Mexique n’ont pas été rendus publics, mais on semble avoir trouvé des compromis sur un grand nombre des enjeux délicats qui étaient encore en suspens après un an de négociations. Comme la rumeur l’indiquait depuis longtemps, on aurait notamment convenu, dans le secteur de la fabrication automobile, de faire passer de 62,5 % à 75 % le seuil minimum de contenu nord-américain requis pour être exempté de taxe à l’importation et ajouté un nouveau seuil minimum de 40 % à 45 % de contenu fabriqué par des travailleurs gagnant au moins 16 $US de l’heure, soit quatre fois plus que la moyenne dans les usines mexicaines.
Fortement contestée par les milieux d’affaires, la demande américaine d’une extinction automatique du futur accord de libre-échange à moins que ses signataires n’acceptent, tous les cinq ans, de le reconduire formellement, aurait été remplacée par un réexamen après six ans, qui assurerait ensuite à l’accord une durée de vie minimale de 16 ans afin d’assurer aux entreprises plus de prévisibilité.
L’avenir des mécanismes de règlement des différends est plus nébuleux. Condition essentielle pour le Canada, au point où il était passé près de faire échouer la conclusion du premier accord de libre-échange canado-américain en 1987, le droit de contester une mesure commerciale devant un tribunal d’arbitrage aurait été, selon des sources, simplement abandonné. Très appréciée par les entreprises, notamment américaines, mais fortement contestée par les mouvements altermondialistes, la disposition de l’ALENA permettant à un investisseur privé de contester la décision d’un gouvernement aurait, quant à elle, été considérablement resserrée.
S’en tenant à la position défendue par Mexico et Ottawa, le président Enrique Peña Nieto s’est félicité de l’accord avec les États-Unis, mais a dit souhaiter que tout cela débouche sur une entente à trois
Dopée par l’accord commercial conclu entre les États-Unis et le Mexique, la Bourse de New York a terminé en nette hausse lundi, emmenant les indices Nasdaq et S & P 500 vers de nouveaux records. L’indice Nasdaq, à forte coloration technologique, a gagné 0,9% pour terminer à 8017,90 points, dépassant ainsi pour la première fois le seuil symbolique des 8000 points. L’indice élargi S & P 500 s’est apprécié de 0,8 % à 2896,74 points.
L’indice symbolique de la place newyorkaise, le Dow Jones, a, lui, pris 1% à 26 049,64 points. Il repasse à cette occasion au-dessus du seuil des 26 000 points qu’il n’avait plus franchi depuis février.
Vedette de la journée, le Nasdaq est en hausse de 16 % depuis le début de l’année. Il avait franchi le seuil des 7000 points en décembre dernier, moins de huit mois après avoir dépassé celui des 6000 points.
Les échanges ont été animés par l’officialisation, après de longues semaines de négociations dans le cadre de la révision de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), d’un accord entre Washington et Mexico. «Si le Canada approuve les nouveaux termes de l’accord, une grande partie du commerce américain serait alors protégée de nouvelles barrières douanières, ce qui retire un élément majeur de risque » à Wall Street, a souligné Ken Berman de Gorilla Trades.
« Le marché commence à reconnaître que le fait d’imposer des taxes à l’importation relevait surtout d’une tactique de négociations et que Trump va y mettre fin », a estimé de son côté Maris Ogg de Tower Bridge Advisors. Même s’il est encore prématuré selon elle de se réjouir complètement, «le simple fait de diminuer les incertitudes [sur le sujet du commerce] améliore les perspectives » pour les indices.
Et comme le marché des actions bénéficie par ailleurs d’un environnement plutôt encourageant, entre des résultats d’entreprises étincelants et des indicateurs économiques solides, les investisseurs « se sentent en confiance », a souligné Mme Ogg. La remontée du yuan après l’annonce par la banque centrale chinoise d’un ajustement de sa politique monétaire pour empêcher une nouvelle chute trop brusque de sa devise a aussi participé à l’optimisme des courtiers. Ce mouvement « est considéré par certains acteurs du marché comme le signe encourageant que la Chine n’est pas en train de délibérément affaiblir le yuan pour atténuer l’impact d’une guerre commerciale », a remarqué Patrick O’Hare.
La montée des indices à de nouveaux sommets est aussi liée selon lui à « la peur de rater l’occasion d’engranger des profits » : le S & P 500, l’indice le plus observé des courtiers de Wall Street, a progressé de 12% depuis un creux en avril. Wall Street montait déjà après le discours jugé rassurant prononcé vendredi par le président de la Réserve fédérale. Jerome Powell a appuyé le scénario d’une poursuite de la hausse des taux en défendant une approche pragmatique de la politique monétaire et il a écarté le risque d’une accélération marquée de l’inflation.
« La suppression de la question commerciale contribue à porter le marché, car cela enlève un grand point d’interrogation », dit Robert Pavlik, responsable de la stratégie d’investissement chez SlateStone Wealth. « Le président ressent probablement une certaine pression de la part de certains secteurs du marché qui ont subi les effets [des tensions commerciales]. Particulièrement quand une grande partie de ces droits de douane frappait [sa] base électorale. »
Automobiles canadiennes
Parmi les valeurs les plus sensibles aux tensions commerciales, Caterpillar et 3M, poids lourds de l’industrie mondiale, ont gagné respectivement 2,8 % et 1,5 %, deux des meilleures performances du Dow.
Ford, General Motors et Fiat Chrysler ont pris pour leur part entre 3,2% et 4,8% alors que le secteur automobile est au coeur des relations commerciales entre les États-Unis et le Mexique. La performance de ces derniers met plus crûment en lumière les déboires actuels de Tesla. Le constructeur de voitures électriques a lâché 1,1 % après l’annonce vendredi soir de l’abandon du projet de retrait de la Bourse annoncé le 7 août par son p.-d.g., Elon Musk.
Du côté canadien, un accord commercial potentiel entre les États-Unis et le Mexique a été accueilli avec un optimisme prudent dans le secteur automobile, malgré les nouvelles menaces de tarifs du président américain. Si les accords sur le contenu automobile et les accords salariaux étaient adoptés avec le Canada, ils pourraient amoindrir les transferts d’emplois du secteur automobile vers des endroits où les salaires sont moins élevés, a estimé le président du syndicat Unifor, Jerry Dias. « Je crois que cela pourrait mettre fin à l’hémorragie au Canada. »
M. Dias s’est dit inquiet que M. Trump ait lié les tarifs potentiels sur le secteur automobile canadien à des concessions sur le système de gestion de l’offre agricole, mais a noté que cela n’était pas nouveau. «C’est beaucoup de rhétorique, mais ultimement, c’est la rhétorique depuis le début. Il dit qu’il va imposer des tarifs si nous ne faisons pas d’importants changements dans l’importation des produits agricoles. »
Les investisseurs ont aussi accueilli favorablement la nouvelle, stimulant les actions des constructeurs automobiles des deux côtés de la frontière. Le fabricant canadien de pièces automobiles Martinrea International a vu son titre augmenter de 6,2 %, tandis que celui de Linamar a pris 6,6% et celui de Magna International, 4,2 %, à la Bourse de Toronto.