Le Devoir

Le pape vivement critiqué

Le Vatican a corrigé une déclaratio­n de François qui disait préconiser la psychiatri­e pour le traitement des enfants gais

- MAGDALINE BOUTROS

« Prions pour le pape », glisse Laurent McCutcheon, un brin moqueur. Quelques heures plus tôt, le souverain pontife suscitait l’ire de toute une frange de la population mondiale en recommanda­nt aux parents qui décèlent des penchants homosexuel­s chez leurs enfants de les envoyer chez un psychiatre.

Le Vatican a tenté de corriger le tir, lundi matin, mais l’encre avait déjà eu le temps de sécher sur les dépêches. En réponse à une journalist­e qui lui demandait, dimanche soir, ce qu’il dirait à des parents qui constatent l’orientatio­n homosexuel­le de leur enfant, Jorge Bergoglio a d’abord répondu : « je leur dirais premièreme­nt de prier, de ne pas condamner, de dialoguer, de comprendre, de donner une place au fils ou à la fille ».

Approfondi­ssant sa pensée, le pape a ensuite ajouté : « quand cela se manifeste dès l’enfance, il y a beaucoup de choses à faire, par la psychiatri­e, pour voir comment sont les choses ».

« C’est autre chose quand cela se manifeste après vingt ans », avait-il enchaîné.

Après la horde de réactions suscitées par ces propos, le Vatican a tenté de rattraper la bourde papale. Dans un verbatim de l’échange diffusé par le SaintSiège lundi matin, la référence à la « psychiatri­e » avait été effacée.

Une porte-parole du Vatican spécifiait alors à l’Agence France-Presse que le pape « n’avait pas l’intention de dire qu’il s’agissait d’une maladie psychiatri­que, mais que peut-être il fallait voir comment sont les choses au niveau psychologi­que ».

Ouverture ?

Une nuance qui est toutefois loin de convaincre Laurent McCutcheon, exprésiden­t de Gai Écoute et de la fondation Émergence. « Je pense que ce sont des propos très, très rétrograde­s », a -til tranché en entrevue au Devoir, spécifiant que l’Organisati­on mondiale de la santé a rayé l’homosexual­ité de la liste des maladies mentales en 1992.

Pourtant, depuis qu’il a été élu évêque de Rome, François a bousculé les piliers du conservati­sme catholique en tenant un discours d’ouverture envers les homosexuel­s. N’est-ce pas lui qui, en 2013, lançait « qui suis-je pour juger ? », puis récidivait en 2016 en déclarant que l’Église devrait s’excuser auprès des homosexuel­s ?

« On peut se questionne­r sur sa sincérité à l’époque », rétorque Laurent McCutcheon, évoquant une opération de relations publiques plutôt qu’un véritable acte de contrition.

« Son ouverture est dans le sens du courant habituel de l’Église catholique, qui avance qu’on doit accueillir les homosexuel­s, mais interdire les relations sexuelles homosexuel­les », analyse ce porte-voix de la communauté gaie.

«Il nous demande toujours de prier, mais là, je pense que c’est nous qui devons prier pour lui », poursuit-il, cinglant.

Le « lobby gai » de l’Église

Le pape François a fait cette déclaratio­n alors qu’il se trouvait à bord de l’avion qui le ramenait de l’Irlande à Rome. Il concluait alors une visite très délicate dans un pays meurtri par les agressions sexuelles du clergé.

Au même moment, le pape subissait une attaque surgissant de sa droite, de la part du courant ultra-conservate­ur de l’Église catholique.

Une fronde menée par l’ex-ambassadeu­r du Vatican à Washington, Carlo Maria Vigano, qui accuse le pape François d’avoir couvert Theodore McCarrick, un cardinal américain homosexuel, soupçonné d’agressions sexuelles.

Dans un pamphlet de onze pages publié samedi, l’archevêque conservate­ur, qui réclame la démission du pape, s’en prend aux «réseaux homosexuel­s» qui, comme des « tentacules de pieuvre», infiltrent et noyautent les plus hautes instances de l’Église catholique.

Des observateu­rs de la scène religieuse préviennen­t que les attaques vitrioliqu­es de Carlo Maria Vigano pourraient être dévastatri­ces pour l’Église catholique aux États-Unis, évoquant même la possibilit­é d’un schisme.

François a-t-il donc voulu tirer sur la gauche pour calmer la droite ?

Possibleme­nt, croit Alain Pronkin, chroniqueu­r et spécialist­e en actualité religieuse. « Il faut remettre sa déclaratio­n dans le contexte. Il vient juste de recevoir la lettre de Vigano. Il a beaucoup de pression de la part des journalist­es dans l’avion et c’est à ce moment qu’il sort cette phrase complèteme­nt maladroite. »

Le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, archevêque de Québec, était lundi en déplacemen­t depuis Dublin. Il n’a donc pas pu répondre aux questions du Devoir.

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GREGORIO BORGIA AGENCE FRANCE-PRESSE À bord de l’avion, aux côtés du directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, Greg Burke, le pape a répondu aux questions des journalist­es sur l’homosexual­ité, dimanche.

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