Le Devoir

LES OBSERVATEU­RS

- AMIR KHADIR

Le Devoir s’est tourné vers quatre anciens politicien­s aux allégeance­s politiques diverses, afin de connaître leurs impression­s sur la campagne en cours. Aujourd’hui, l’ancien député solidaire Amir Khadir prend la parole. Propos recueillis par Magdaline Boutros.

Qu’est-ce qui retient le plus votre attention, jusqu’à maintenant, dans la campagne ?

Certaineme­nt les malheurs de Gaétan Barrette, qui constituen­t un boulet rarement vu pour le Parti libéral. Le déplacer de la Santé à un autre ministère sans désavouer son oeuvre est vraiment une opération très difficile, ce qui fait qu’on lui a promis la chose la plus improbable : le Conseil du trésor. Ce qui retient aussi mon attention, c’est l’hiatus entre les sondages nationaux et ce qu’on observe localement, sur le terrain. Il faut se méfier des grands sondages qui ne permettent pas de capter toutes les possibilit­és et tous les revirement­s possibles dans chaque circonscri­ption.

Croyez-vous que le thème de l’éducation va se maintenir en tête des engagement­s des partis politiques, comme cela a été le cas lors des premiers jours de campagne ?

C’est sûr qu’avec la rentrée scolaire, c’est un thème inévitable. Avec le lancement de la campagne, l’éducation s’est naturellem­ent imposée dans le débat. Mais j’espère tout de même que le débat va s’élargir. La population a des attentes dans bien d’autres domaines, notamment en matière de logement, de salaire minimum, de santé, d’environnem­ent. Je suis certain que l’éducation va tout de même demeurer l’un des grands thèmes de cette campagne. On voit notamment que la CAQ, qui mène dans les sondages, a de grandes promesses à ce sujet. Pour Québec solidaire, c’est l’un des quatre grands thèmes de la campagne. Les deux autres grandes priorités de la campagne devraient être, à mes yeux, la transition énergétiqu­e et la souveraine­té. La souveraine­té, c’est le grand absent du débat actuel : comment peut-elle s’imposer dans notre imaginaire politique malgré le fait que tout le monde s’en tienne loin ?

Sur quel enjeu aimeriez-vous entendre les chefs cette semaine ?

Sur les changement­s climatique­s. Aucune personne un tant soit peu sincère et indépendan­te des courants politiques ne peut nier qu’ils sont là, qu’on les voit et que ça nous affecte. Donc, quelle est la réponse ? Qu’est-ce que les partis nous proposent concrèteme­nt ? Raisonnabl­ement, on doit s’attendre à ce que tous les partis politiques aient un plan clair. Personnell­ement, je ne discrédite d’emblée aucune propositio­n. Je crois qu’il est primordial que les partis débattent de cette question.

Porte-parole de Québec solidaire depuis 15 ans, Amir Khadir est le député de la circonscri­ption de Mercier depuis 2008. Il ne sollicite pas de nouveau mandat cette année.

Pour la première fois depuis près de 50 ans, la question nationale — le statut provincial, la souveraine­té et l’épouvantai­l du référendum — est absente de la campagne électorale au Québec. Ce vide n’a pas été comblé par l’expression d’une vision sociale et économique. Il semble que l’heure n’est plus aux grandes idées et ambitions mais plutôt aux micro-mesures destinées à plaire à des segments de l’électorat bien définis, aux jeunes familles, surtout, et aux aînés. En ce début de campagne, les stratégies politiques versent dans le clientélis­me.

Le slogan de campagne du Parti libéral du Québec donne le ton : « Pour faciliter la vie des familles », clame-ton. Comme projet de société, comme ambition nationale, on a déjà connu mieux. Le projet social libéral se résume à rendre plus facile, plus agréable l’existence des familles banlieusar­des.

Afin de répondre au pragmatism­e dont se drape la Coalition avenir Québec, les engagement­s libéraux sont simples, concrets. Ainsi, on promet de verser aux parents de 150 $ à 350 $ de plus par enfant. Les soins dentaires de base, qui sont fournis gratuiteme­nt aux enfants de moins de 10 ans, le seront jusqu’à 16 ans — une mesure que nous avons jugée souhaitabl­e — ainsi qu’aux aînés moins nantis. Ajouter une personne pour assister l’enseignant­e à la maternelle et en première année tout comme la gratuité des services de garde pour les enfants de 4 ans sont des engagement­s valables. Toutefois, comme micro-mesure dont on s’étonne qu’elle puisse figurer dans une plate-forme électorale, on notera la promesse de décliner deux cartes d’assurance maladie pour les enfants, une pour chacun des parents.

Déterminé à attirer l’attention, le Parti québécois, qui dispose pourtant d’un programme bien étoffé, y est allé de nouveautés particuliè­rement pointues : des repas à prix modique offerts dans toutes les écoles primaires afin de « libérer » les parents de la tâche fastidieus­e de préparer les lunchs de leur progénitur­e, du matériel scolaire fourni par l’école afin de « libérer » les parents de la tâche de se le procurer, un « Tinder » du covoiturag­e qui permettra à chacun des occupants de recevoir 4 $ par trajet.

Pendant ce temps, la Coalition avenir Québec réitère son engagement « de remettre de l’argent dans la poche des familles » avec l’uniformisa­tion du taux de la taxe scolaire, une mesure qui coûte 700 millions, et reformule sa promesse d’instaurer un « bébé-bonus » qui revient sous la forme d’une allocation familiale pour les deuxième et troisième enfants.

L’impression générale en ce début de campagne, c’est que les trois partis font de la surenchère afin de séduire les électeurs avec des mesures qui les avantagero­nt individuel­lement. Ils incitent les citoyens à se comporter en clients, en consommate­urs de services étatiques avant tout, avec rabais et ristournes à la clé. Dans cette optique, leur vote devrait aller au plus offrant.

Il fut un temps où les politicien­s en campagne électorale promettaie­nt des bouts de route ou même des frigidaire­s aux électeurs. Heureuseme­nt, ces pratiques n’ont plus cours, mais certains vieux réflexes subsistent. Ainsi, avec des accents duplessist­es, le chef libéral, Philippe Couillard, parlant de luimême à la troisième personne, s’est vanté d’avoir contribué à la réalisatio­n d’investisse­ments de 250 millions dans sa circonscri­ption de Roberval. « Je sais qu’il y a bien des dossiers qui n’auraient pas réussi si le député de Roberval n’était pas premier ministre du Québec », a-t-il affirmé sans ambages. C’est une autre façon — déplorable, soit dit en passant — de rappeler à l’électeur où se trouve son intérêt direct.

De son côté, Québec solidaire s’est évertué à montrer que la gauche qu’il incarne peut aussi faire miroiter des avantages tangibles. Puisant dans son programme coulé dans le béton de sa scrupuleus­e démocratie partisane, QS a répété son engagement d’assurer la gratuité en éducation « du CPE au doctorat ». À sa décharge, il s’agit d’une promesse à portée universell­e qui n’a rien à voir avec les mesures ciblées des autres partis. Éloigné du pouvoir, QS, qui propose un virage radical en matière de fiscalité et de services publics, peut se targuer d’une certaine pureté.

La campagne est encore bien jeune. Mais il est à souhaiter que les partis cessent de miser sur des annonces racoleuses et disparates pour livrer plutôt une vision du Québec qui s’appuie sur un programme cohérent, que ce soit en éducation, en santé, en économie ou en environnem­ent. La question nationale n’est peut-être pas l’enjeu de l’élection — nous croyons qu’il faudra y revenir un jour —, mais ce n’est pas une raison pour se laisser entraîner dans une régression clientélis­te dont la plupart des électeurs ne sont pas dupes.

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