Le Devoir

L’indignatio­n de façade

- MICHEL DAVID

L’ex-p.-d. g. du CHU de Québec-Université Laval, Gertrude Bourdon n’est pas la première victime de la fâcheuse tendance de François Legault à dévoiler le contenu d’un échange qui aurait normalemen­t dû rester confidenti­el.

L’année dernière, l’ancienne première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, avait été furieuse d’entendre le chef de la CAQ révéler publiqueme­nt la teneur de leur tête-à-tête lors de sa visite à Québec. À entendre Mme Wynne, il avait même déformé ses propos pour lui faire dire que l’Ontario était très intéressé par les projets de développem­ent hydroélect­rique de M. Legault, ce qu’elle avait formelleme­nt nié à deux reprises.

Même si cela avait été vrai, l’indiscréti­on du chef caquiste aurait placé la première ministre ontarienne dans une position très inconforta­ble face à M. Couillard, qui ridiculisa­it le projet de « Baie James du XXIe siècle » proposé par le chef de la CAQ, alors qu’Hydro-Québec ne savait plus quoi faire de ses surplus.

On n’a jamais su avec certitude qui disait la vérité, mais cet épisode n’en avait pas moins laissé la désagréabl­e impression que M. Legault est un homme auquel il est préférable de ne pas confier ce qu’on ne souhaite pas voir ébruiter.

Cela ne fait pas de lui un sexiste. Il aurait sans aucun doute agi de la même façon avec un homme qu’avec Mme Bourdon, s’il avait eu le sentiment d’avoir été trompé. À lire les textos qu’elle a échangés avec l’entourage du chef caquiste, on comprend que ce dernier a eu de bonnes raisons de croire qu’il était le dindon de la farce, peu importe les raisons qui ont amené la p.-d. g. du CHU de Québec à se joindre à l’équipe libérale.

Il est plutôt rare de voir un chef de parti en campagne se porter à la défense de son principal adversaire, comme l’a fait Jean-François Lisée, mais celui-ci semble bien décidé à s’inviter dans tous les débats, que cela le concerne ou non. Au reste, la comparaiso­n entre M. Legault et Donald Trump était si grossière qu’il ne pouvait pas résister à la tentation d’accabler M. Couillard.

François Legault aurait sans aucun doute agi de la même façon avec un homme qu’avec Gertrude Bourdon, s’il avait eu le sentiment d’avoir été trompé

On peut comprendre que la ministre des Relations internatio­nales, Christine St-Pierre, et la candidate vedette du PQ dans Saint-Laurent, Marwah Rizqy, n’aient pas aimé que leur nouvelle collègue soit malmenée sur la place publique. Quand on sait combien chaque interventi­on est soigneusem­ent calculée en campagne électorale, il est cependant bien difficile de croire que la sortie simultanée des deux femmes n’a pas été autorisée, voire commandée par l’état-major libéral. C’est tout juste si le premier ministre ne leur a pas donné publiqueme­nt sa bénédictio­n.

Même Manon Massé, à qui on ne peut certaineme­nt pas reprocher de manquer de vigilance en cette matière, a trouvé « particulie­r que Philippe Couillard utilise ses candidates pour lancer ce type d’accusation ». C’était avoir bien peu de respect pour elles que leur confier ce sale travail, comme cela aurait dû être gênant de l’accepter.

Il est parfaiteme­nt ridicule d’imputer le rejet de la ligne rose du métro par M. Legault à un quelconque sexisme, parce que le projet émane de la mairesse Plante, comme l’a fait Mme Rizqy. On peut toujours reprocher à la CAQ d’avoir privilégié les projets de transport en commun qui avantagera­ient les secteurs où se concentren­t ses électeurs, mais ne mélangeons pas tout.

Les stratèges caquistes sont très conscients qu’une politique de soutien à la famille peut facilement être interprété­e comme une invitation faite aux femmes de rester à la maison. Pendant un bon moment, la CAQ a jonglé avec la possibilit­é de ressuscite­r les « bons de garde » que proposait jadis l’ADQ, mais l’idée a été jugée politiquem­ent trop risquée.

Il se peut que M. Legault n’ait pas une vision de la société aussi moderne que celle de Mme Risqy, qui voit dans la bonificati­on des allocation­s familiales proposées par la CAQ une autre manifestat­ion de ce « sexisme de façade ». C’est pourtant à tort qu’on l’associe aux « bébé bonus » du gouverneme­nt Bourassa, qui visaient ouvertemen­t à stimuler la natalité.

Il ne s’agit pas ici d’augmenter le montant des allocation­s selon le nombre d’enfants, mais simplement d’éviter qu’elles soient moins avantageus­es pour un deuxième ou un troisième enfant que pour un premier, comme c’est présenteme­nt le cas. Faut-il comprendre qu’aux yeux du PLQ, le respect envers les femmes et le soutien à la famille sont incompatib­les ?

Tout cela ressemble fort à une indignatio­n de façade provoquée surtout par la crainte que le succès de la CAQ dans sa recherche de candidatur­es féminines lui permette de rejoindre un électorat qui lui était traditionn­ellement réfractair­e.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada