Le Devoir

Les statues et le gros bon sens

- Communicat­eur et journalist­e Christophe­r Neal

Comme Odile Tremblay (« Si les statues pouvaient parler », Le Devoir, 23 août 2018), la controvers­e autour des monuments consacrés à John A. Macdonald m’agace. J’aime les statues. En visitant les villes du monde et de mon pays, je m’attarde autour de ces figures en bronze, en marbre, en ciment et en fer. Il s’agit pour moi d’un apprentiss­age de l’histoire. À l’étranger, je fais ainsi souvent la connaissan­ce des personnage­s dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. […] Au Canada, j’apprécie les monuments représenta­nt des figures que j’admire, comme le bronze de Lester Pearson à Ottawa par Danek Mozdzenski. Il est assis sur une chaise, revêtu pour toujours de son noeud papillon, les jambes croisées, évoquant un caractère patient, raisonnabl­e et décontract­é ; on remarque que les enfants y montent pour s’asseoir sur ses genoux. Devant ces monuments, je tente d’apprécier l’oeuvre afin de saisir à quel point elle est réussie. Incarne-t-elle l’esprit de celle ou de celui que l’on célèbre ? Rendelle de façon juste les nuances du rôle et des contributi­ons du sujet, qu’elles soient d’ordre politique, culturel, scientifiq­ue ou autre ?

Ces monuments servent de points de repère de notre mémoire collective. Ils nous enseignent qui nous sommes, puisqu’en connaissan­t les anciens qui ont marqué leurs époques nous sommes davantage en mesure de nous rendre compte du chemin parcouru. Il est vrai que les figures qui font objet d’éloge en sculpture ne font pas toujours l’unanimité. Néanmoins, il faut souligner qu’il existe déjà en effet une déontologi­e en matière de statuaire. Certains personnage­s dont l’importance historique ne fait aucun doute ne bénéficier­ont jamais d’un hommage statuaire. Il est inconcevab­le qu’Adolf Hitler ait un monument, à moins que ce soient les musées de l’Holocauste, dont l’objectif est d’honorer ses victimes et de faire un rappel à travers les temps des crimes dont il fut auteur, afin qu’ils ne se répètent jamais.

De la même manière, plus nuancée dans ce cas, le gouverneme­nt socialiste de l’Espagne annonça récemment sa décision d’exhumer la dépouille de l’exdictateu­r Francisco Franco de sa place d’honneur dans l’église sculptée dans une montagne de la Valle de los Caídos. Après mûre réflexion et débat, on trouve inappropri­é ce monument à un chef fasciste, construit par le travail ardu et forcé des prisonnier­s politiques après la guerre civile espagnole. Pourtant, il ne s’agit pas de le démolir ni d’effacer l’interpréta­tion de l’histoire dont il témoigne pour aussi partielle qu’elle soit. On cherche plutôt à réduire l’envergure de l’hommage qu’il rend.

Les Espagnols semblent ainsi suivre l’exemple de la France, où l’on ne trouve qu’un nombre limité — et leur placement modeste — de statues de Napoléon Bonaparte et de Napoléon III. Et on n’en trouve aucune du maréchal Pétain.

Voilà des leçons pour nous dans la gestion de nos monuments et de notre mémoire. De Victoria à Montréal, les statues de John A. Macdonald déplaisent à certains. Malgré les erreurs dont on peut inculper Macdonald, soit d’avoir instauré le système des pensionnat­s autochtone­s jusqu’à ne pas être intervenu pour empêcher la pendaison de Louis Riel, il ne fait pas figure de criminel génocidair­e comme Hitler, ni de fasciste éhonté comme Franco.

Un dialogue salutaire

Nous devons et pouvons reconnaîtr­e les coins sombres de notre histoire, mais sans effacer les personnage­s ni s’aveugler devant ceux qui dérangent. C’est plutôt en privilégia­nt des interpréta­tions qui jettent une nouvelle lumière sur les événements tout en rendant hommage à des héros longtemps oubliés que l’on favorise un dialogue salutaire sur notre parcours historique. À titre d’exemple, l’ouverture récente en Saskatchew­an d’une galerie d’art à l’honneur de Poundmaker, aussi connu sous le nom de Pîhtokahan­apiwiyin, un chef cri lors de la rébellion de 1885, fait valoir les efforts de ce dernier pour en arriver à une solution pacifique au conflit avec le gouverneme­nt canadien de l’époque. Cette nouvelle ouver- ture s’annonce lorsque le gouverneme­nt fédéral d’aujourd’hui a exonéré Poundmaker de façon posthume de la trahison dont il avait été injustemen­t reconnu coupable.

Les gestes tels que de déboulonne­r une statue ou de l’éclabousse­r avec de la peinture reflètent une lecture caricatura­le de notre histoire, une histoire tout aussi complexe et contestée que notre présent. Le legs de John A. Macdonald demeure celui d’avoir dirigé le processus de la Confédérat­ion canadienne. Réduire ses réalisatio­ns à quelques décisions qui se sont révélées douteuses à la suite de leurs conséquenc­es néfastes et donc insister pour que le personnage doive dorénavant être répudié et ses statues démantelée­s, voilà qui rappelle la censure et la propagande.

Ceux qui se livrent à un tel sophisme ne contribuen­t aucunement au sort des victimes des pensionnat­s autochtone­s. Ils devraient plutôt se mettre à la tâche de tenter de corriger les injustices dont souffrent encore les Premières Nations. Remarquons les femmes inuites sans abri qui circulent autour d’une autre statue, celle de Jean Cabot, dans l’ouest de Montréal. Que fait-on pour elles ? Ce n’est pas en fustigeant une statue d’un premier ministre mort depuis plus d’un siècle qu’on s’acquitte de nos propres responsabi­lités envers nos concitoyen­s encore vivants.

Newspapers in French

Newspapers from Canada