Le Devoir

Une croissance de 8 % serait une fuite en avant

- Olivier Jacques Doctorant en science politique, Université McGill

La saga Gertrude Bourdon, qui est passée en quelques jours de candidate vedette caquiste à potentiell­e ministre de la Santé libérale, met à l’ordre du jour un enjeu crucial pour l’avenir du Québec : le financemen­t du système de santé. Selon les rumeurs, Mme Bourdon aurait exigé une hausse des dépenses du réseau de la santé de près de 8 % pour se joindre à un des deux partis favoris à l’élection. Une telle augmentati­on des dépenses en santé permettrai­t certaineme­nt d’offrir de meilleurs soins au public. Elle représente toutefois une fuite en avant qui aggraverai­t le problème structurel qui guette les finances publiques du Québec : une part toujours croissante des dépenses de santé dans le budget du Québec qui entraînera tôt ou tard des choix déchirants.

Les dépenses en santé croissent déjà plus rapidement que le reste des dépenses de l’État. Ainsi, les budgets de la santé sont passés de 30 % des dépenses de programme provincial­es en 19801981 à 50 % en 2015-2016. Pendant ce temps, les dépenses en éducation sont passées de 33 à 26 % du total, alors que la part des dépenses en services sociaux est restée constante sur la période (9%). Les dépenses de santé furent d’ailleurs « épargnées » par l’austérité budgétaire des deux premières années du gouverneme­nt Couillard: leur niveau absolu n’a pas diminué de 2014 à 2016, alors que les dépenses en éducation et en services sociaux ont diminué sur la période.

Plusieurs projection­s montrent qu’en tenant compte du vieillisse­ment de la population et de la tendance de croissance de dépenses actuelle, le système de santé devrait représente­r entre 65 et 70 % des dépenses de programme du gouverneme­nt du Québec dès les années 2030. Cela s’explique en grande partie par le vieillisse­ment de la population. Selon l’Institut canadien d’informatio­n sur la santé, les dépenses en santé par personne augmentent exponentie­llement à partir de 70 ans (elles atteignent 16 200 $ par femme de 8084 ans, contre seulement 2600$ par femme de 25-29 ans).

Il est difficile de concevoir des finances publiques viables si le réseau de la santé accapare plus de 65 % des dépenses. À moins que les Québécois ne découvrent une nouvelle passion pour les hausses d’impôts et acceptent de voir leur propre fardeau fiscal augmenter considérab­lement, une hausse des dépenses en santé devra nécessaire­ment se produire au détriment des autres missions de l’État, notamment en éducation et en services sociaux. Autrement, les gouverneme­nts devront augmenter considérab­lement la dette publique ou privatiser certains services publics.

Équité intergénér­ationnelle

Il y a donc un enjeu d’équité intergénér­ationnelle important. Les dépenses de santé sont surtout allouées aux personnes plus âgées, alors que les dépenses en éducation et en soutien aux familles bénéficien­t davantage aux plus jeunes. Si le gouverneme­nt n’arrive pas à maîtriser ses dépenses en santé, les dépenses gouverneme­ntales deviendron­t encore plus orientées vers les plus vieux, au détriment des plus jeunes.

Les gouverneme­nts du Québec devraient donc s’affairer à maîtriser la hausse des coûts du système. Pour contenir les coûts du système sans réduire l’offre de services, le prochain gouverneme­nt doit d’abord revoir l’entente sur la rémunérati­on des médecins. Non seulement cette entente contribue à hausser considérab­lement les coûts du système de santé, mais elle représente possibleme­nt le plus grand transfert gouverneme­ntal de richesse vers le 1 % imaginable.

Ensuite, le gouverneme­nt devrait concentrer ses investisse­ments en santé sur des secteurs qui réduiront à long terme les coûts du système, notamment les soins à domicile pour personnes âgées. Des organisati­ons internatio­nales comme l’OCDE indiquent que les investisse­ments publics dans ce secteur sont négligés au Canada et permettrai­ent de diminuer les coûts futurs du système de santé. En ce sens, il est regrettabl­e que le gouverneme­nt Couillard ait renoncé à la politique d’assurance autonomie proposée par le gouverneme­nt Marois qui visait justement à bonifier considérab­lement les soins à domicile pour personnes âgées.

Finalement, on peut parvenir à diminuer les coûts du système de santé en investissa­nt dans les services sociaux. Selon une récente étude du Canadian

Medical Associatio­n Journal, les dépenses en services sociaux ont plus d’impact sur la santé des population­s que les dépenses en soins de santé elles-mêmes. La raison est simple : des citoyens moins pauvres sont en meilleure santé.

Ces efforts ne seront toutefois probableme­nt pas suffisants pour faire face au défi que représente la croissance des dépenses de santé pour la viabilité des finances publiques. Un gouverneme­nt vraiment clairvoyan­t créerait une sorte de fonds d’épargne que l’on commencera­it à décaisser dans une douzaine d’années, seulement lorsque les effets du vieillisse­ment de la population sur le système de santé se feront fortement sentir. Cette réserve de fonds permettrai­t de s’assurer que la hausse des dépenses de santé ne se produise pas au détriment des autres missions de l’État. Il est grand temps de prévenir plutôt que de fuir vers l’avant.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Plusieurs projection­s montrent que le système de santé devrait représente­r entre 65 et 70 % des dépenses de programme du gouverneme­nt du Québec dès les années 2030.

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