Une croissance de 8 % serait une fuite en avant
La saga Gertrude Bourdon, qui est passée en quelques jours de candidate vedette caquiste à potentielle ministre de la Santé libérale, met à l’ordre du jour un enjeu crucial pour l’avenir du Québec : le financement du système de santé. Selon les rumeurs, Mme Bourdon aurait exigé une hausse des dépenses du réseau de la santé de près de 8 % pour se joindre à un des deux partis favoris à l’élection. Une telle augmentation des dépenses en santé permettrait certainement d’offrir de meilleurs soins au public. Elle représente toutefois une fuite en avant qui aggraverait le problème structurel qui guette les finances publiques du Québec : une part toujours croissante des dépenses de santé dans le budget du Québec qui entraînera tôt ou tard des choix déchirants.
Les dépenses en santé croissent déjà plus rapidement que le reste des dépenses de l’État. Ainsi, les budgets de la santé sont passés de 30 % des dépenses de programme provinciales en 19801981 à 50 % en 2015-2016. Pendant ce temps, les dépenses en éducation sont passées de 33 à 26 % du total, alors que la part des dépenses en services sociaux est restée constante sur la période (9%). Les dépenses de santé furent d’ailleurs « épargnées » par l’austérité budgétaire des deux premières années du gouvernement Couillard: leur niveau absolu n’a pas diminué de 2014 à 2016, alors que les dépenses en éducation et en services sociaux ont diminué sur la période.
Plusieurs projections montrent qu’en tenant compte du vieillissement de la population et de la tendance de croissance de dépenses actuelle, le système de santé devrait représenter entre 65 et 70 % des dépenses de programme du gouvernement du Québec dès les années 2030. Cela s’explique en grande partie par le vieillissement de la population. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les dépenses en santé par personne augmentent exponentiellement à partir de 70 ans (elles atteignent 16 200 $ par femme de 8084 ans, contre seulement 2600$ par femme de 25-29 ans).
Il est difficile de concevoir des finances publiques viables si le réseau de la santé accapare plus de 65 % des dépenses. À moins que les Québécois ne découvrent une nouvelle passion pour les hausses d’impôts et acceptent de voir leur propre fardeau fiscal augmenter considérablement, une hausse des dépenses en santé devra nécessairement se produire au détriment des autres missions de l’État, notamment en éducation et en services sociaux. Autrement, les gouvernements devront augmenter considérablement la dette publique ou privatiser certains services publics.
Équité intergénérationnelle
Il y a donc un enjeu d’équité intergénérationnelle important. Les dépenses de santé sont surtout allouées aux personnes plus âgées, alors que les dépenses en éducation et en soutien aux familles bénéficient davantage aux plus jeunes. Si le gouvernement n’arrive pas à maîtriser ses dépenses en santé, les dépenses gouvernementales deviendront encore plus orientées vers les plus vieux, au détriment des plus jeunes.
Les gouvernements du Québec devraient donc s’affairer à maîtriser la hausse des coûts du système. Pour contenir les coûts du système sans réduire l’offre de services, le prochain gouvernement doit d’abord revoir l’entente sur la rémunération des médecins. Non seulement cette entente contribue à hausser considérablement les coûts du système de santé, mais elle représente possiblement le plus grand transfert gouvernemental de richesse vers le 1 % imaginable.
Ensuite, le gouvernement devrait concentrer ses investissements en santé sur des secteurs qui réduiront à long terme les coûts du système, notamment les soins à domicile pour personnes âgées. Des organisations internationales comme l’OCDE indiquent que les investissements publics dans ce secteur sont négligés au Canada et permettraient de diminuer les coûts futurs du système de santé. En ce sens, il est regrettable que le gouvernement Couillard ait renoncé à la politique d’assurance autonomie proposée par le gouvernement Marois qui visait justement à bonifier considérablement les soins à domicile pour personnes âgées.
Finalement, on peut parvenir à diminuer les coûts du système de santé en investissant dans les services sociaux. Selon une récente étude du Canadian
Medical Association Journal, les dépenses en services sociaux ont plus d’impact sur la santé des populations que les dépenses en soins de santé elles-mêmes. La raison est simple : des citoyens moins pauvres sont en meilleure santé.
Ces efforts ne seront toutefois probablement pas suffisants pour faire face au défi que représente la croissance des dépenses de santé pour la viabilité des finances publiques. Un gouvernement vraiment clairvoyant créerait une sorte de fonds d’épargne que l’on commencerait à décaisser dans une douzaine d’années, seulement lorsque les effets du vieillissement de la population sur le système de santé se feront fortement sentir. Cette réserve de fonds permettrait de s’assurer que la hausse des dépenses de santé ne se produise pas au détriment des autres missions de l’État. Il est grand temps de prévenir plutôt que de fuir vers l’avant.