Le Devoir

Charbon : Donald Trump, la solitude du mineur de fond

- AUDE MASSIOT

Au meeting de Donald Trump à Charleston, le 21 août, un panneau indiquant Trump digs coal pouvait se traduire à la fois par « Trump déterre le charbon » ou « Trump adore le charbon ». En revenant sur les mesures environnem­entales du gouverneme­nt Obama, la Maison-Blanche vole au secours d’un secteur dont le déclin semble inéluctabl­e, sans se soucier de son impact sur le climat.

Les gigantesqu­es feux de forêt qui ont ravagé une partie de la Californie pendant l’été, les records de températur­es observés dans plusieurs coins des États-Unis et la sécheresse extrême qui touche actuelleme­nt 131 millions d’Américains n’ont pas convaincu Donald Trump de la nécessité de lutter contre le réchauffem­ent climatique. Le 21 août, lors d’un meeting à Charleston, en Virginie occidental­e, il a présenté en grande pompe le nouveau plan de l’Agence de protection de l’environnem­ent (EPA) pour réguler les émissions de polluants et gaz à effet de serre.

« Ce texte est conçu pour aider l’industrie du charbon, tranche Julie McNamara, analyste spécialist­e de l’énergie à l’Union of Concerned Scientists. Il impose les normes les plus basses possible et donne des moyens de les contourner à la seule condition que des travaux d’améliorati­on soient faits sur les centrales. »

Centrales vieillissa­ntes

Le président américain n’a jamais caché sa volonté de relancer une industrie du charbon en plein déclin. Dès la campagne électorale pour la présidenti­elle en 2016, il clamait vouloir mettre fin à la « guerre contre le charbon » menée selon lui par Barack Obama. Il s’est ensuite entouré, à Washington, de lobbyistes ou anciens du secteur des énergies fossiles. L’exemple le plus frappant est celui d’Andrew Wheeler, l’actuel directeur de l’EPA, l’agence américaine de l’environnem­ent, qui a travaillé pour une firme dont un des clients n’est autre… que Murray Energy, autoprocla­mée « plus grande entreprise minière en Amérique ».

Venant remplacer le plan pour l’énergie propre (Clean Power Plan) d’Obama, qui visait à réduire la pollution carbone du secteur de l’énergie de 32% en 2030 par rapport à 2005, ce nouveau projet de régulation appelé Affordable Clean Energy Rule (Règle de l’énergie propre abordable) entend à l’inverse permettre aux industriel­s de prolonger les centrales à charbon vieillissa­ntes. Une main tendue aux entreprise­s et aux travailleu­rs de ce secteur en déclin, à un peu plus de deux mois des élections de mi-mandat. L’annonce a eu l’effet désiré. Le locataire de la Maison-Blanche « a réussi presque tout seul à relever cette industrie », a vanté Chris Hamilton, vice-président de l’Associatio­n du charbon de Virginie occidental­e, assurant que les « jours les plus sombres » du secteur étaient passés.

Un constat contrarié par la réalité économique. D’ici à 2019, une douzaine de centrales à charbon obsolètes devraient fermer. L’an dernier, cette énergie très polluante a atteint un minimum historique et ne représenta­it que 30 % du marché de l’électricit­é, contre 60% il y a 30 ans. Le lendemain de la publicatio­n du plan de l’EPA, le service d’analyse financière Credit Risk Monitor alertait sur le haut niveau de difficulté­s financière­s de trois entreprise­s américaine­s du charbon : Consol Energy, Foresight Energy et Westmorela­nd Coal Company. Elles cumulent à elles trois 6,8 milliards d’actifs financiers. « Aujourd’hui, tout le monde sait que notre avenir sera décarboné, reprend Julie McNamara. Il est devenu trop dangereux d’investir dans le charbon. »

Le gouverneme­nt n’en est pas à sa première tentative pour sauver cette industrie. En juin, une note de service obtenue par Bloomberg révélait la volonté du départemen­t de l’Énergie d’utiliser une mesure d’urgence pour forcer des opérateurs de réseaux à se fournir en électricit­é auprès de centrales à charbon et nucléaires en difficulté. Au motif qu’il s’agirait d’une question… de sécurité nationale. Cette propositio­n ne sort pas de nulle part. Elle fait écho aux appels à l’aide de First Energy, un énergétici­en de l’Ohio qui a dû se déclarer en faillite en avril.

« Donald Trump est du mauvais côté de l’histoire, estime Anders Levermann, climatolog­ue à l’Institut de recherche sur l’impact climatique de Potsdam. Avec ce plan, il dit soutenir les travailleu­rs du charbon, mais ce sont des humains avant tout et ils souffrent de la pollution de l’air et du changement climatique.» D’après les propres documents de l’EPA, l’applicatio­n de l’Affordable Clean Energy Rule pourrait causer la mort de 1400 personnes par an d’ici 2030, essentiell­ement par maladies cardiovasc­ulaires et respiratoi­res. Et coûter au pays entre 1,4 et 3,9 milliards de dollars tous les ans. Mais tous les Américains ne seront pas touchés de la même manière: toujours d’après des chercheurs de l’EPA, les Afro-Américains souffrent 1,54 fois plus de la pollution aux particules fines que la population générale. Les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, 1,32 fois plus.

Capture du carbone

D’un point de vue climatique, ce nouveau plan conduirait à une hausse de 47 à 61 millions de tonnes de CO2 en 2030. « L’industrie du charbon ne peut et ne doit pas être relancée si l’on veut avoir une chance d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris [limiter la hausse des températur­es mondiales sous les 2 °C d’ici la fin du siècle], ajoute Anders Levermann. C’est un constat scientifiq­ue : tant qu’on brûlera du charbon, les températur­es continuero­nt d’augmenter. »

Une autre récente attaque du gouverneme­nt Trump contre l’héritage d’Obama va à contresens de la sauvegarde de la planète. Le 2 août, la Maison-Blanche a annoncé la fin d’une régulation imposant aux constructe­urs automobile­s une réduction radicale de la consommati­on de carburants et des émissions de gaz à effet de serre pour leurs véhicules. Ce retour en arrière pourrait ajouter entre 28 et 83 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère en 2030, selon une analyse du Rhodium Group. Une initiative «stupide », a torpillé Jerry Brown, le gouverneur démocrate de la Californie.

Cela n’empêche pas Trump de vanter les mérites du « charbon propre ». Il est en effet possible de rendre ces centrales plus «vertes», juge-t-il, en installant, par exemple, des systèmes de capture du carbone émis. Une technique peu développée, car très onéreuse. Or, en parallèle, les coûts de l’électricit­é solaire, éolienne et du gaz naturel continuent de baisser. « Cette dynamique est très difficile à arrêter, résume Luke Bassett, spécialist­e énergie au think tank Center for American Progress. Jusqu’à maintenant, tous les efforts du gouverneme­nt fédéral dans ce sens ont échoué. » Par ailleurs, l’Affordable Clean Energy Rule reste, pour l’instant, à l’état de propositio­n. Ses détracteur­s sont si nombreux qu’elle a peu de chance d’être un jour appliquée. Barbara Underwood, la procureure générale de l’État de New York, a annoncé qu’elle attaquerai­t le texte en justice au nom d’un groupe de 17 États et six villes et comtés. L’Affordable Clean Energy Rule pourrait donc finir coincée dans les limbes de la justice américaine.

 ?? MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le président américain, Donald Trump, saluant ses supporteur­s lors d’un meeting à Charleston, en Virginie occidental­e, le 21 août dernier.Il y a annoncé son plan pour relancer une industrie du charbon en plein déclin.
MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE Le président américain, Donald Trump, saluant ses supporteur­s lors d’un meeting à Charleston, en Virginie occidental­e, le 21 août dernier.Il y a annoncé son plan pour relancer une industrie du charbon en plein déclin.

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