Le Devoir

Indignatio­ns

- BRIAN MYLES

Quand les limites sont atteintes, les bornes sont dépassées. » C’est bien ce qu’on a vu pendant cette première semaine de campagne.

Nous avons atteint le degré zéro de la politique lorsque Gertrude Bourdon a reconnu non seulement qu’elle aimait magasiner, mais qu’elle avait magasiné simultaném­ent du côté de la CAQ et du PLQ.

A-t-elle eu la décence élémentair­e d’aviser les deux partis qu’elle faisait son magasinage chez l’un et chez l’autre en exigeant le poste de ministre de la Santé et encore plus d’argent pour ce ministère ? En raison de ses nombreuses rencontres et négociatio­ns avec Gertrude Bourdon, François Legault était en droit de divulguer les textos échangés entre elle et son directeur de cabinet. Pour que chacun soit en mesure, en cette période électorale, de juger de la sincérité ou de la duplicité de la nouvelle candidate libérale.

Sans compter, par ailleurs, qu’elle a dit, il y a quelques mois à peine, à la députée Agnès Maltais qu’elle n’irait jamais à la CAQ parce que son parti, c’était le PQ… Dommage collatéral supplément­aire : le docteur Barrette étant publiqueme­nt démis de ses fonctions par la même occasion, Philippe Couillard s’empresse, pour éviter une crise au sein de son cabinet, de le nommer ministre responsabl­e du Conseil du trésor dans un éventuel cabinet libéral. Au secours ! S’il y a un poste gouverneme­ntal qui demande du doigté, de bonnes relations humaines, du jugement, c’est bien celui-là.

La personne qui occupe cette fonction inconnue de la majorité des contribuab­les devient extrêmemen­t puissante au sein de l’appareil, car elle décide de délier ou non les cordons de la bourse. C’est le ministre qui dit souvent non à ses collègues et qui, par définition, ne s’en fait pas beaucoup aimer. Si, en plus, il possède un ego surdimensi­onné et une légère tendance autocratiq­ue, c’est le désastre annoncé…

La saga entourant Gertrude Bourdon nous donne tout de même une bonne idée de ce que signifie pour la candidate dans Jean-Lesage et le Parti libéral « faire de la politique autrement » : une régression des conviction­s en faveur de la surenchère du plus offrant

Heureuseme­nt, il ne s’agit là peut-être que de politique-fiction, puisqu’il n’est pas certain que les libéraux soient réélus et que Mme Bourdon devienne députée de la circonscri­ption de Jean-Lesage. L’opportunis­me ne paie pas toujours.

Cette saga nous donne tout de même une bonne idée de ce que signifie pour elle et le Parti libéral « faire de la politique autrement » : une régression des conviction­s en faveur de la surenchère du plus offrant.

Dans un tout autre registre, QS et sa co-porte-parole ont commis, en cette première semaine, une bourde impardonna­ble pour un parti qui veut gouverner le Québec… et qui se dit indépendan­tiste.

C’est avec consternat­ion et tristesse que j’ai pris connaissan­ce d’abord du gazouillis d’un employé de QS, repris à son compte en anglais, mais aussi en français par Manon Massé, soutenant qu’il y a deux langues officielle­s au Québec. Avant que quelqu’un de mieux avisé à QS — Amir Khadir ? Gabriel Nadeau-Dubois ? — lui rappelle que le français est la seule langue officielle. Et ce, aurait-elle dû immédiatem­ent ajouter, depuis plus de 40 ans.

En effet, c’est en 1974 que Robert Bourassa et le PLQ font voter à l’Assemblée nationale la loi 22. Trois ans avant l’adoption de la loi 101, le grand oeuvre du Parti québécois, qui va beaucoup plus loin en imposant, notamment, aux enfants des nouveaux arrivants la fréquentat­ion de l’école française au primaire et au secondaire, alors qu’avant 1977 ils étaient, pour la plupart, scolarisés en anglais. Pourquoi n’a-t-elle pas spontanéme­nt énoncé ce qui précède ? Parce qu’elle ne le sait pas ? Parce qu’elle l’a oublié ? Parce que ça ne l’intéresse pas ? C’est pourtant le b.a.-ba de toute connaissan­ce de l’histoire récente de la nation québécoise.

Il faut dire que, malheureus­ement, c’est dans l’air du temps : la relative unanimité par rapport aux acquis de la loi 101 a vécu. Au-delà de la minorité anglophone qui n’a jamais vraiment accepté la loi 101, il y a maintenant un courant chez les allophones et les francophon­es visant à « affranchir » et à « libérer » les Québécois de ce « collectivi­sme linguistiq­ue ». Québec solidaire doit maintenant préciser sa pensée : que propose-t-il exactement ? Renforcer la loi 101 ou en assouplir certaines dispositio­ns ?

Pendant ce temps, en cette première semaine, le Parti québécois ne s’est fourvoyé dans aucun bourbier : il a su demeurer positif et constructi­f. C’est tout à son avantage.

Comment va-t-on payer pour ça ? C’est la grande question qui se pose à chaque cycle électoral avec Québec solidaire. De toutes les formations représenté­es à l’Assemblée nationale, c’est la seule qui défende l’interventi­onnisme d’État dans sa forme la plus optimiste, comme aux beaux jours du grand soir. Québec solidaire a présenté un cadre financier qui tient en deux pages. Le parti promet de dégager, dans la quatrième année du mandat, des surplus de 12,9 milliards de dollars (en hausse de 10 % par rapport au budget) afin de financer ses engagement­s. C’est le premier d’une longue série d’angles morts. La formation ne souffle pas un mot sur la réalité budgétaire qui prévaudrai­t lors des trois premières années de son mandat.

Des doutes pèsent sur le réalisme de certaines mesures. À titre d’exemple, la réforme de la fiscalité des entreprise­s, visant à faire passer le taux d’imposition des sociétés de plus de 500 personnes de 11,7 % à 14,5 %, pourrait dégager 2,17 milliards en revenus, en théorie. Mais a-t-on évalué son impact potentiel sur l’exode des entreprise­s et le maintien des emplois ? Ces entreprise­s, ne l’oublions pas, prennent leurs décisions d’affaires sur un terrain de jeu plus vaste que les limites du Québec.

Le cadre est rempli de ces questions sans réponses, si bien que l’Associatio­n des économiste­s québécois juge l’exercice « incomplet ». À la défense de Québec solidaire, aucun parti n’a la science infuse lorsqu’il est temps de présenter un cadre financier. L’exercice est un mélange de rêves, de vertu et de prévisions plus ou moins convaincan­tes.

La formation codirigée par Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé présente au moins un cadre conforme à ses valeurs, en faisant passer de quatre à dix le nombre de paliers d’imposition pour les particulie­rs. Les citoyens gagnant moins de 95 000 $ par année ne subiraient pas de hausses d’impôts. À l’inverse, les 9 % des plus riches en paieraient plus. Le taux d’imposition serait de 26 % pour les revenus de 100 000 $ et il monterait jusqu’à 30 % pour les revenus de 250 000 $ et plus. Cette fiscalité progressiv­e est une avenue intéressan­te pour dégager une marge de manoeuvre sans pénaliser davantage la classe moyenne. Un citoyen qui gagne 120 000 $ par an ne sera pas à plaindre s’il doit payer 500 $ d’impôts supplément­aires. Idem pour la volonté d’accroître les redevances minières, les redevances sur l’eau et de rétablir l’équité fiscale dans le commerce en ligne. Que du gros bon sens.

À cet égard, Québec solidaire reste fidèle à ses conviction­s : faire payer les riches, les nantis (lire : les médecins spécialist­es) et les grandes entreprise­s. À défaut d’être réaliste, ce cadre est idéaliste. L’ingrédient manquant ? Une réflexion sur la qualité et le coût des services publics. S’il est un sujet qui interpelle l’électeur moderne tout autant que l’améliorati­on des services publics, c’est bien le contrôle des dépenses.

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